Un peuple de peupliers*

Un coup de téléphone qui était une injonction à laquelle je me plierai volontiers. Une magnifique journée appelle une magnifique excursion arboricole. Allons avec Charles L'Heureux voir ce qu'il en est des peupliers sur la Rive-Sud, de Longueuil à Verchères!

Google, 2015.

Belle journée, la première depuis longtemps dans notre printemps misérable. Une voiture Communauto était disponible à un coin de rue de chez moi. Et très peu de bagnoles sur les rues de Montréal! L'excursion sera un bonheur!

Direction pont Jacques-Cartier, nous sommes déjà à Longueuil. Quatre yeux occupés à chercher les silhouettes des grands peupliers derrière les immeubles. Il y en a encore beaucoup mais comme nous le verrons, beaucoup moins qu'il n'y a pas si longtemps. 

Sur cette photo de Google Street nous en voyons deux. Mais...

Google, 2015.

Sur place on se rend compte que c'était un alignement, possiblement une double allée de peupliers, de chaque côté de ce chemin qui menait je ne sais où autrefois. Des irrégularités (de petits monticules de souches) encore bien perceptibles au sol (pas besoin de LIDAR) révèlent l'implantation des arbres disparus.


Il ne reste qu'un seul peuplier carolin. Et pas pour longtemps! C'est le dernier printemps de ce géant...

À côté de l'ultime survivant nous avons cet autre carolin (et Signore Carlo). Ce peuplier a été abattu récemment, il était visible (celui de gauche) sur la première photo du billet. Nous n'avons pas compté les cernes annuels avec précision mais sa taille était comparable aux deux plus gros peupliers du parc La Fontaine: ceux-ci faisaient 21-22 pieds de circonférence lorsque je les ai mesuré en 2015. À peu de choses près ces arbres sont donc contemporains.

Nous avons repris la route pour venir voir ce lieu: Conrad Kirouac (mort frère Marie-Victorin) a enseigné ici au Collège de Longueuil de 1904 à 1920. Et on trouve (tout naturellement pour notre part...) un alignement de peupliers deltoïdes.

Il en reste encore quelques-uns. Plus tard, vous savez quand, vous croyez qu'ici on pensera les remplacer? Je veux dire planter de nouveaux peupliers? Enfin... parce qu'il y a déjà des remplaçants de ceux tombés au cours des années... et ce ne sont pas des peupliers!

Un des arbres survivants est une femelle (un arbre pistillé). Ces chapelets de fruits seront chargés de ces semences cotonneuses qui terrifient tout le monde. Ça gâche la pelouse qu'on dit. (moi je crois que c'est plutôt nos pelouses qui ruinent totalement nos entrées en asphalte...). Ça fait éternuer prétend-on: oui et les poules ont de grandes dents... Comme Pinocchio.

De si grands arbres nous laissent rarement voir ces infructescences de si près. J'ai déjà vu des chapelets (chapelets est le terme approprié, vu les lieux...) matures de peupliers deltoïdes mais je n'avais jamais vu aussi tôt dans la saison: on voit bien au sommet des ovaires (qui commencent tout juste à gonfler) le singulier stigmate tri-lobé. À maturité ces chapelets auront jusqu'à 20 ou 30 centimètres de long!

Et à maturité les valves du fruit s'ouvriront, libérant d'effrayantes masses pernicieuses et polluantes de graines cotonneuses poussées par le vent complice et scélérat. Dites-moi: il y aura peut-être suffisamment  de graines pour remplacer les peupliers trépassés? Peut-être?

On peut rêver? Vu que... patrimoine... Longueuil... Collège de Longueuil... Marie-Victorin, et tout et tout?

À Varennes, voyez ici sur Google Maps

Nous avons poursuivi sur la route en parallèle au fleuve vers l'Est. Nous avons vu de nombreux autres peupliers: en alignements et autres aménagements. Voyez ci-haut cet extraordinaire alignement qui compte une quinzaine de peupliers deltoïdes encore debout! Beaucoup d'autres sont tombés... Je réserve des découvertes encore plus intéressantes pour mon livre (hin-hin-hin...). 

Je vous le donne en mille: avec quoi a-t-on remplacé les peupliers tombés de ce bel alignement? Avec des pins noirs et des érables de Norvège (un de ces horribles cultivars colorés…)! On veut faire intéressant, joli, et bien prouver l’amnésie des gens qui ont tout oublié… Ce choix est fait par des professionnels? C’est trop facile, assez grossier et pas mal vulgaire me disait une amie historienne. Elle est dure de jugement.

Oui, la Belle Province a déjà été plus Belle…

Si vous me suivez vous savez maintenant que je suis toujours occupé à la finition de mon livre sur les peupliers carolins. Pourquoi tout ce travail? Parce qu’il faut conserver ceux encore présents et remplacer ceux qui sont tombés par insouciante indifférence sans être remplacés. Parce que le patrimoine c'est aussi le patrimoine arboricole et paysager et que cela c'est, en sa meilleure partie, les peupliers!

Surtout sur nos routes, pistes cyclables et au parc La Fontaine!

Ces deux grands peupliers (deltoïde et carolin) ont eu une place si grande dans la culture québécoise qu’il est étonnant que cela soit oublié. Le seul intérêt qu'on leur accorde c'est la grande entreprise de les abattre. C’est ordinairement à la faveur de considération de sécurité automobile sur les routes, ou la "sécurité" des promeneurs dans les parcs qu’ils sont abattus. Ce qui pourrait se comprendre et s’accepter si la seconde partie de l’intervention suivait: leur remplacement… tsé...genre...

 Google, 2015.
Nous avons donc poussé jusqu'ici au Monument de Madeleine de Verchères. En refaisant notre trajet sur Google afin d'avoir les données de géo-localisation je suis tombé sur cette vue datant de quelques années. Madeleine était partie en vacance, faut croire!

Mais jeudi Madeleine au vent était de retour. Les peupliers, ces monuments vivants au vent, ils reviendront?


*En passant: Un peuple de peupliers ce sera le titre du livre. Qu'en pensez-vous?



Commentaires

  1. Comme un poème funèbre ! Ils se portent ben mal ces peupliers dans le domaine public ! Une chance que le peuplier ne demande l’avis à personne et se plante tout seul dans les friches, heureusement que c’est un colonisateur ! Mais en même temps, on le sait tous, ces friches sont tellement convoitées, pour y construire des condos ! Il y a peut-être que sur les rivages du fleuve, ou au loin là-bas, sur les petites îles de l’archipel que nous en verrons, au loin, là-bas...

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  2. Ce titre s'impose, bien évidemment, au su et au vu de la façon dont les autorités traitent tous "les peuples". Hâte de lire cela. Si tu veux y intégrer certaines des photos de l'expo de l'an dernier, fais-moi signe. PB

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