Les arbres du Quai de l’Horloge

 

Le site photographié en 2019.

Ce fameux alignement au Vieux-Port de Montréal revient dans les nouvelles. Mais c’est pour des mauvaises nouvelles: on va (encore…) abattre la moitié des arbres! Voyez l'article:


On nous signale heureusement qu’ils seront remplacés. Le choix: des chênes pédonculés fastigiés. Il s’agit d’un cultivar en flèche du Quercus robur. C’est assez conventionnel et prévisible… J’aurais choisi tout autre chose: des peupliers de Caroline. Je sais, vous êtes surpris.

« Diantre! Latour! Vous proposez de planter des clones! Qu’en est-il de la nécessité de la diversité des plantations? Et c’est pas une espèce indigène! *» (je cite un interlocuteur imaginaire)

Illustration tirée de "La haie dans le bocage urbain, 2016.

Je suis adepte de la gestion différenciée des espaces verts. Cela s’applique  aussi au choix des arbres selon le site. Ainsi j’ai fait longtemps la promotion de plantation de haies morphologiquement diversifiées d’espèces indigènes dans des espaces du type Champ des Possibles à Montréal. J’ai même commencé (à mon corps défendant...) ce travail. Au CDP c’était donc une approche méthodique de « verdissement » sous le paradigme « biodiversité ». 

Illustration tirée de "La haie dans le bocage urbain, 2016.

En ville il y a évidemment bien d’autres situations qu’un terrain vague à convertir en habitat de la biodiversité. Sur les trottoirs, par exemple, où l’environnement est trop rébarbatif (sec, chaud, pollué, étroit, etc.) pour de nombreuses espèces, il faut s’ouvrir à l’idée de planter des hybrides et des espèces exotiques. Gestion différenciée, vous savez? Cela explique l’usage profitable (services environnementaux, etc.) d’espèces comme le chicot févier (Gymnocladus dioicus): il résiste à tout! Nous avons aussi de beaux hybrides d’ormes que l’on plante depuis une dizaine d’années. Malgré tout, je persiste à regretter que personne n’ait encore mis en oeuvre l’idée de planter l’orme lisse (Ulmus laevis). Mais qui suis-je pour recommander ces arbres?

Un des ormes lisses (centenaires...) du parc Jeanne-Mance.

On choisit donc les arbres en fonction des caractéristiques du site. Lorsqu’on arrive à des sites (d’apparats, de spectacle, etc.) comme le Quai de l’Horloge, il faut choisir des arbres selon un autre paradigme: ici c’est plutôt d’histoire et d’architecture qu’il s’agit (les raffinés disent: dezign). Mais ce site est froid et venteux! C’est encore une autre contrainte pour le choix des arbres. Pour remplacer les peupliers fastigiés (voyez ce billet) on a donc choisi dans le catalogue standard ces fameux chênes fastigiés: ils ne feront pas long feu. Cette prédiction n’est pas trop risquée…


Photo : Le Reflet du Lac – Pierre-Olivier Girard

Je vous ai parlé des peupliers de Caroline de la pointe Merry (photo ci-haut) à Magog. Le site est sur le lac Memphrémagog: voilà un site comparable à celui du Quai de l’Horloge, non? Ces arbres ont rendu service pendant de nombreuses décennies. Sans parler de ceux du parc La Fontaine (dont certains sont encore debout) qui on rendu l’endroit incomparable depuis plus de 100 ans. 


Dans cet article, vous noterez cette affirmation non-fondée (des plus partielles en tout cas!) selon laquelle les carolins ont une espérance de vie de « 60 et 75 ans ». Chez de nombreux professionnels, on colporte ces demi-vérités depuis bien longtemps. Nous savons que des centaines de carolins ont atteint plus de cent ans! En milieu urbain, combien d’arbres peuvent s’en réclamer autant?



Voulant rédiger ce billet ce matin, je relisais mes notes pour ne pas dire trop de conneries. Je retrouve ce communiqué de presse de 2007 (ci-haut) de la La Société du Vieux-Port de Montréal et je vois ce passage:

« Les arbres qui seront coupés, des peupliers fastigiés Populus canadensis "Eugeni," ont été plantés en 1992. »

Je me rappelle pas d’avoir jamais vu des carolins à cet endroit… et des "Populus canadensis "Eugeni" c'est même pas fastigié! Alors je cherche des photos de l’époque et je tombe sur des photos de 2004. Le problème? Elles ne montrent pas des peupliers de Caroline! Voyez à gauche sur le montage ci-bas. Ce sont des peupliers noirs fastigiés! 

Quand vous voulez abattre votre chien, dites qu’il a la rage. Même si c’est pas un chien…

À gauche: photo de Denis Tremblay, 2004. À droite: ma photo en 2019.

Il faut se demander si cette erreur d’identification (comme bien d'autres que j'ai croisé) ne participe pas à la mauvaise réputation des peupliers en général et des carolins en particulier. À moins de preuve du contraire: il n’y avait pas de peupliers carolins à cet endroit. On a tout simplement remplacé un cultivar du peuplier noir par un autre (qui s'est révélé tout aussi fragile...).

Il n'y avait pas de peupliers carolins, mais il y en aura peut-être à l’avenir?

Les grands espaces ouverts sur des plans d'eau: c'est fait pour des carolins... (c'est beau à Magog...)


Dans l’article de Radio-Canada cité plus haut:

« Selon Bertrand Dumont, le Vieux-Port était limité dans ses options pour remplacer les beaux arbres élancés qui seront coupés. “C’est une photo symbolique, souligne-t-il. On ne peut pas mettre des arbres qui offrent une grande canopée, même si ça serait une bonne idée pour les passants.”

À quoi je réponds: 

Oui on peut mettre des arbres à Very Big canopée! Parce que ça serait une TRÈS bonne idée pour les passants qui auront de l’ombre! Même si ça jette un peu d’ombre sur le travail des aménagistes qui veulent ça bien étroit et bien droit, vous savez: la perspective vers la tour de l'horloge, etc... Entre le dezign et l’ombre frais, quel est votre choix?

Bon weekend!

*notez que maintenant que l'on trouve des peupliers de Caroline qui se propagent naturellement à Montréal, la question de l'indigénat se pose autrement...

Commentaires