La Haie dans le Bocage Urbain. 1

J’ai publié en 2016 un essai présentant mes idées d’aménagement éco-paysager en milieu urbain. Le concept s’était développé depuis 2009 puis me vint l’idée d’en faire un livre. Évidemment, tout cela c’était d’abord pour le Champ des Possibles que je voyais comme modèle pour faire des espaces verts autrement…

Les lecteurs ne furent pas très nombreux…  Tout d’abord c'est une auto-publication (comme mes blogues pourtant...) et c’est un livre numérique (cela effraie apparemment…). Je comptais sur mes nombreux lecteurs (sur la première version du blogue du moins) sur les réseaux sociaux et sur la grande popularité des tablettes iPad. J'étais séduit par les possibilités didactiques des livres numériques « enrichis » : plein écran, glossaire, navigation par index visuel, recherche par mots, texte déroulant, galeries et images zoomables. Mes livres suivants (ici) ont tous des animations et même de courts films. Un Peuple de Peupliers (prochain livre) aura même de la musique... Je trouve ça (encore) intéressant d'élargir ainsi l'idée d'un "livre" et de d'immerger le lecteur dans un sujet.

Il y avait bien des erreurs dans ce pari numérique! Ce sont les risques du métier... Anyway (comme on dit en latin) je vous présenterai sur ce blog l’entièreté du livre, chapitre par chapitre, illustrations comprises. Le texte est exactement celui publié en 2016. 

Comme la « mise en page » d’un livre numérique interactif est assez différente d’un livre papier ou d’un blogue… j’ai dû faire quelques sacrifices en plus d'adapter certaines images ou séries d’images et autres widgets… les photos sont compressées pour le format du blogue et on perd un peu de l’extraordinaire brillance qu’elles ont sur un iPad… Le livre en version originale iBooks pour appareil Apple est toujours disponible ici.

Voici donc les deux premiers chapitre (en partie du moins...) du livre La Haie dans le Bocage Urbain, tel que publié en 2016. Les autres suivront au cours des semaines. Les idées ça doit circuler, non?



Lisez avec une bonne dose d'indulgente générosité mon difficile et imparfait labeur…



1 Introduction


La majorité des humains sont aujourd’hui urbains et les villes se réchauffent. Les changements climatiques sont maintenant une réalité et certains de leurs effets sont problématiques. Nos équipements et installations, nos habitations et même notre santé seront tous mis à l’épreuve. Nous soulignons alors les nombreux services écosystémiques que nous rendent les arbres: la forêt urbaine produit de l’oxygène, convertit le CO2 en biomasse, absorbe l’eau de pluie, dépollue l’air et lutte contre les ilôts de chaleur en tempérant le climat. Mais avec l’arrivée d’un seul insecte ravageur (l’agrile du frêne) nous allons perdre massivement ces arbres qui forment 20% de notre canopée et nous mesurons sur le tard toute l’importance de la diversité.

Nous savons maintenant que la diversité des espèces plantées offre un meilleur équilibre écologique qui est nécessaire afin de maintenir notre forêt urbaine en santé. Voilà que la biodiversité est utile et prend de la valeur. Nous nous inquiétons par ailleurs de la réduction des populations de nombreuses espèces et plus généralement de la perte de biodiversité causée par la perte et la fragmentation des habitats. À l’évidence, surtout en milieu urbain, nous avons intérêt à protéger et à favoriser la biodiversité. Les services qu’elle nous rend n’en seront que mieux assurés si nous faisons preuve d’un peu d’imagination, d’ingéniosité et d’innovation pour lui faire plus de place.

Cet essai apporte une réponse à la question:


Comment favoriser la biodiversité en milieu urbain densément construit?



J’essaierai de vous montrer que la haie écotonale peut jouer un rôle de connection des éléments du bocage urbain. Puisqu’elle est un produit du milieu anthropique, elle est pré-adaptée pour le travail.

Cet essai fait quelques suppositions: tout d’abord vous souhaitez que le milieu urbain soit non seulement plus acceuillant à la biodiversité mais que son aménagement soit revu pour mieux le permettre. Je suppose aussi que vous êtes familiers avec les services environnementaux et écosystémiques que la biodiversité nous rend.

Si c’est le cas vous trouverez ici une méthode d’aménagement écologique du paysage urbain qui valorise les espaces inutilisés autour de nous. La méthode peut aussi servir à enrichir la biodiversité de nos parcs.

Mon attention se porte sur l’île de Montréal et ses alentours immédiats mais mes propositions s’appliquent aussi en milieu péri-urbain ou ailleurs.

Je vous invite donc à retrouver le bocage du passé et en voir les traces, à marcher dans des bocages centenaires menacés et témoigner du bocage urbain qui s’écrit aujourd’hui, sous nos yeux dans notre environnement urbanisé. 




La haie dans le bocage urbain. Publié à Montréal, août 2016.

Texte, graphisme, illustration, photographie: Roger Latour

Mise en page: Roger Latour

Tous droits d’auteur réservés © Flora Urbana Press (FUP)/Roger Latour

Dédié à mon fils Arno

Avec mes plus sincères remerciements à Charles L’Heureux pour son amitié inspirante. Merci aussi à Hélène Sarrazin et Jessica Hart. Merci à René Audet qui a généreusement corrigé certains chapitres ainsi que Rachelle Renaud.

Toutes fautes, imprécisions et opinions sont les miennes.







Quelques notes sur l’utilisation de ce livre:


Sont figurés sur les cartes, les vues aériennes et autres représentations:

en vert: les haies, bosquets, boisés et arbres isolés. 

en jaune: toutes parcelles non-cultivées: en friche, en jachère, pâturages. Pieds de haie, bandes hercacées. 

en bleu: fossés, ruisseaux, cours et plans d’eau.

De nombreuses gravures, peintures et photographies illustrant ce livre appartiennent au domaine public: elles datent la plupart du 19e siècle. Pour celles que je publie ici, tous les efforts ont été faits afin d’identifier l’auteur. Dans certains cas toutefois c’est impossible: j’indique alors SN pour sans nom et SD pour sans date. Un «c» (circa) suivant une date indique qu’il s’agit d’une approximation.

Une part importante des photographies historiques provient des Archives de la Ville de Montréal: ces images sont indiquées AdM. Certaines autres proviennent de  Bibliothèque et Archives Nationales du Québec (BanQ). Tout en les remerciant, on ne peut que les encourager à mettre tous les efforts afin de numériser et de rendre librement accessibles l’ensemble de leurs collections qui sont dans le domaine public.

Les autres photos, plans et illustrations sont par moi: RL. Mes cartes sans précision de dates sont réputées être de 2010.

Les citations sont entre guillemets et en italique. 

Une astérisque suivant le nom latin ou français d’une espèce indique une espèce d’origine exotique à notre région.


Bonne lecture!


2 Questions bocagères


Appellations incontrôlées

Parler de bocage dans la région de Montréal peut étonner: «ça n’existe pas ici» m’a-t-on souvent sommairement répondu. Il est vrai que nous n’utilisons que très rarement ce terme, le croyant réservé à quelqu’autre territoire. Pourtant il ne renvoie qu’à une réalité géographique commune et ordinaire, tout comme les mots «rivière» ou «montagne». On peut penser à «village», «milieu rural», «terroir rangique» ou «banlieue» pour donner des exemples de termes de géographie qui décrivent des milieux anthropiques cette fois. Le bocage se trouve de fait un peu partout où le milieu a été transformé et habité par les humains depuis l’avènement de l’agriculture et de l’élevage des animaux.

Une topographie ondulée suffit-elle pour nommer un bocage? Oka, l'île de Montréal au loin. Photo: RL.

L'archétypal bocage du Cotentin en Normandie, 1945. Photo: DP, SN.

Réseau des haies, les friches sont figurées. Illustration: RL.


Rarement utilisé en parlant du Nouveau-Monde, le terme «bocage» est disqualifié prématurément. Le mot «haie» souffre, lui, d’un malentendu. L’interlocuteur voit alors immanquablement une haie de «cèdres» (thuya) quand on le prononce. C’est une terrible réduction de la riche histoire à laquelle renvoie pourtant ce mot!


D'après Bunnet, 1885. Près de Québec. Illustration: RL.

Comme l’a montré le géographe Louis-Edmond Hamelin, il semble bien que le rang québécois (ou les « côtes » de Montréal) que l’on croyait si particuliers n’ont rien de terriblement québécois. Les modulations de cette forme d’aménagement et de divisions des parcelles agricoles en longs rubans existent tant en Europe qu’ailleurs en Amérique.


Quelques côtes (rangs) de l'île de Montréal. DP.



Old Mines, 1803. Des rangs (côtes) chez les Français du Missouri. DP.

Pont-Breaux, Louisiane, USA. Illustration: RL.

Peut-être puis-je alors dire avec les écologistes du paysage que le bocage n’a rien de terriblement normand? Le bocage aussi connaît toutes sortes de variations avec de nombreuses définitions…

La topographie plane, l’époque de la colonisation, les techniques et les pratiques d’aménagement du territoire ont produit cette division des parcelles en lanières au Québec et ailleurs dans le Nouveau-Monde.


Peak District (GB), Devon (GB), Offaly County (Ir), Toscane (It).

Du bocage et des haies

Dès l’origine du monde agraire donc, les parcelles cultivées devaient être protégées du bétail. Ou ce dernier devait être gardé dans un espace délimité. Des clôtures (enclos ou exclos…) étaient alors nécessaires. Ces clôtures étaient ordinairement faites avec des espèces épineuses, des branches mortes (mais qui s’enracinaient…) ou des végétaux vivants: nous avons ici l’origine de la haie vive. Avec le temps, de lieu en lieu, volontairement ou par accident, la haie a pris forme et s’est vue chargée de nombreuses autres fonctions au-delà de celle d’une simple clôture. Elle est devenue source de combustible et de bois, de fruits et de noix pour les humains, de fourrage pour le bétail, de contrôle du vent et de l’érosion des sols, de délimitation des propriétés, etc. Partout la haie produit des matières premières et rend des services environnementaux, depuis toujours. 

N’oublions pas cet autre rôle: la haie est un lieu privilégié de la biodiversité: elle est un écotope. Elle est aussi une voie de circulation des espèces: elle est un biocorridor…


Biocorridor entre deux boisés. Napierville, Québec. Illustration: RL.

«Bocage» désigne donc un paysage anthropique, généralement un type particulier d’aménagement du territoire agricole. L’histoire, la pédologie, la topographie et l'hydrographie lui ont donné une physionomie variable. Comment alors bien définir le bocage? J’aime cette définition minimale, entièrement satisfaisante à mon avis: «paysage de champs enclos de haies » ou encore mieux: «un paysage d’enclos verdoyants». Dans les deux cas, toutes les typologies savantes du bocage sont résumées par l’indication de l’élément commun essentiel: en effet, pas de haie, pas de bocage.

On peut définir la haie tout aussi simplement: un alignement de végétaux ligneux entre deux parcelles, contre une clôture, le long d’un chemin, etc. C’est un ourlet vert dans le paysage!

Pas de haie, pas de bocage, donc. La proposition peut-elle s’inverser? S’il y a haie, y a-t-il bocage? Nous verrons cela plus loin…


Biocorridor. Saint-Paul d'Abbotsford, Québec. Illustration: RL.

Pour le bocage rural, soyons justes et inclusifs: il comprend évidemment, en plus des champs, des pâturages et des haies, les boisés et les bosquets, les forêts, les friches, les fossés, les bords de chemins enherbés, les rives boisées des cours d’eau, etc. On utilise souvent l’expression «mosaïque de taches» ou «trame verte et bleue» pour signifier l’inventaire des éléments du paysage à l’échelle de quelques kilomètres carrés (c’est l’échelle à laquelle j’ai préparé les cartes). Mais «bocage» rend mieux l’histoire des lieux.

C’est dans ces ensembles hétérogènes et disparates que les haies jouent un rôle essentiel, écologiquement indispensable. Elles permettent l’interconnexion et la mise en réseau de tous les autres éléments paysagers du bocage. 


A: biocorridors des haies entre les boisés. B: boisé isolé. Ontario. Illustration: RL.

J’ai dit que le mot bocage désignait «généralement» un certain type de paysage du territoire agricole. C’est que même en France le mot est entendu de façon très différente selon que l’on est géographe ou agriculteur par exemple. Les premiers parlent bien sûr «d’une entité composée de champs entourés de haies», alors que pour les seconds le «terme est synonyme de petits bois». Voilà comment les habitants du bocage ignorent qu’ils vivent dans le bocage…

Au final, pour certains, «bocage» n’est peut-être qu’un terme d’affection pour un territoire agraire marqué par une longue occupation. Écologiquement il y a une correspondance toutefois: la richesse des écotopes, l’âge des arbres ou la qualité du maillage des haies traduisent assez bien ce fait: ce sont tous des ouvrages du temps.




Bocages, haies: usages locaux

Les quelques traces que j’ai trouvées du mot «bocage» au Québec sont justement dans le sens de «boisé». Je vous donne ici quelques exemples de l’emploi des termes «bocage» et «haie»:

Alors que l’on cherchait en 1853 un nouvel emplacement pour le cimetière catholique à Montréal (Notre-Dame-des-Neiges), on 

«avait trouvé un terrain situé sur le chemin de la Côte des Neiges à environ vingt arpents de la barrière appartenant au Dr Pierre Beaubien, ayant cinq arpents de front sur le dit chemin par vingt trois arpents de profondeur sur lequel terrain il y a un bocage d'environ vingt-cinq à trente arpents».

Dans sa Flore canadienne, Léon Provancher écrit à propos de la clématite de Virginie qu’elle est «grimpante sur les buissons et les haies au moyen de ses longs pétioles»

À cette époque, certains arbustes devenaient populaires: ils sont vus aujourd’hui avec un regard bien différent. À grands efforts, surtout pour l’un d’entre eux, ils sont extirpés parce que sévèrement envahissants et nuisibles à la biodiversité:

Le nerprun cathartique* (Rhamnus cathartica) «qui sert aussi à faire d'excellentes haies vives.» et le troëne commun* (Ligustrum vulgare) qui «se soumet parfaitement à la taille, et rien de plus charmant que des haies de cet arbrisseau convenablement taillées.»


Bocage de Brest en Bretagne. France. Illustration: RL.

Bien qu’il ne mentionne que quelques espèces d’aubépines (dont l’espèce européenne Crataegus oxyacantha*, syn. C. monogyna*, aujourd’hui naturalisée) il s’attarde sur le sujet:

«Toutes les Aubépines, suivant les lieux où elles croissent, leur âge, leur exposition, etc., présentent des variations nombreuses dans la couleur, la forme et la grosseur de leurs fruits, les découpures ou dentelures et la forme des feuilles, le nombre des styles et des noyaux, l'inclinaison des rameaux, etc., et c'est ce qui n'a pas peu contribué à faire naître cette synonymie si embarrassante dans la distinction des diverses Espèces. Leur bois dur, rougeâtre et compacte, sert dans la menuiserie, la gravure, les petites pièces de mécanismes, etc., mais c'est surtout pour la plantation des haies vives que les Aubépines sont recherchées.»

L’abbé naturaliste mentionne également Shepherdia canadensis et Shepherdia argentea*, ajoutant que «ces deux plantes et surtout la dernière sont ornementales ; comme elles supportent facilement la taille on en fait aussi d'excellentes haies.» J’apprends ici par Provancher que l’on «fabrique avec leurs fruits des gelées que plusieurs préfèrent à celles des Groseilles.»

Provancher utilise aussi à quelques reprises le mot «bocage», toujours dans le sens de «boisé», il parle d’un boisé planté dans l’exemple ci-dessous:

«Qu’on tente aussi de reboiser certaines parties improductives de la ferme,  comme celles par exemple où des cailloux trop nombreux empêchent la charrue de passer; dans peu d’années, on aura converti ces endroits en bouquets ou bocages qui joindront l'utile à l’agréable.»


Bocage dans le Thiérache, région partagée entre la France et la Belgique. Illustration: RL.

Jean-Charles Chapais dit la même chose: 

«Les terrains stériles proprement dits, peuvent, avec un peu de soin, être convertis en bocages.»

On trouve dans le Voyage de Kalm en Amérique:

«Notre framboisier commun est extrêmement abondant ici; il couvre les coteaux et court sur les lisières des champs, et les bords des rivières, en longues haies qui, en cette saison, paraissent toutes rouges, tant les branches de l'arbuste sont chargées de baies en pleine maturité.»

En anglais, haie se dit hedgerow, et on trouve:

«… I have shot a few in hedgerows and fields at Hochelega in the month of May»

C’était dans le bon vieux temps où on tirait les oiseaux avec son fusil afin de mieux les étudier. Notez que l’auteur parle ici de la paruline obscure (Oreothlypis peregrina).

À la fin du 19e Siècle, dans le Code municipal de la Province de Québec on trouve quelques articles qui parlent de haies, de haies vives, de murs et de clôtures et qui utilisent le terme de bocage, dans le sens habituel de bosquet ou de petit boisé:

«Toute personne qui … enlève ou endommage une clôture coupe ou détruit  quelque haie … pendant le jour encourt une amende de pas moins d’une ni de plus de six piastres si la même faute est commise durant la nuit l’amende est double».

Nocturne, le vandalisme est vraiment scélérat! Le Code municipal imposait par ailleurs une certaine protection du paysage rural, à une petite échelle, privée, toutefois:

«Nul conseil d’une municipalité de comté ou de campagne ne peut sans le consentement par écrit du propriétaire:

Faire passer un chemin public à travers une basse cour ou un jardin clos d’une muraille de haie vive ou d’une clôture en planches ou en piquets debout ni à travers une érablière ou un verger situé dans un rayon de quatre cents pieds de la maison habitée par l’occupant de cette érablière ou de ce verger ni à travers une cour à bois de sciage un terrain d’amusements ou autre terrain embelli et enclos contigu aux dépendances d’une maison de campagne ou résidence et en faisant partie.» 

Un article du journal La Presse (1 juillet 1909) au titre de Projets pour les parcs publics parle des améliorations proposées pour la ferme Fletcher (à l’ouest de l’avenue du Parc, faisant partie aujourd’hui du parc du Mont Royal à Montréal):

«Du côté ouest serait la grande promenade publique: parc parsemé de fleurs, strié de routes carrossables et de pentes ombragées, reverdi de pelouses et de haies vives, abrité de frondaisons luxuriantes.»


Bocage dans le département de l'Allier, centre de la France. Illustration: RL.

Marie-Victorin à son tour mentionne des haies et parle évidemment des aubépines, il écrit:

«Le chemin qui, sortant de Québec, file entre les haies d’aubépine vers la Petite-Rivière et l’Ancienne-Lorette traverse une campagne vieille comme la cognée française en Amérique.»

«Le chemin va tout droit entre de vieux saules et de grandes maisons dérobées derrière un joli parterre et une haie d’aubépine.»

«Ce matin-là, le soleil se leva insolemment radieux. La pluie de la veille avait lavé le ciel et donné une voix claire à toutes les rigoles dégorgeant dans le fossé. La rosée brillait sur les pétales rouges des pivoines et une odeur capiteuse venant des haies d’aubépine flottait dans l’air rajeuni.»

Ailleurs dans la littérature on trouve aussi l’usage du terme «bocage» dans le sens d’un boisé, un vestige d’une forêt disparue:

«Les allées champêtres (…) du côté de Sainte-Geneviève débitent en bocage les restes de la forêt de jadis.»

Parlant des Everglades en Floride, Jacques Rousseau parle cette fois du «bocage des hammocks légèrement surélevés où s'abrite le Séminole ». Le sens de «bocage» est ici plus difficile à déterminer! Parle-t-il d’une mosaïque de «bosquets»?


Pratiques moins connues du bocage au Québec: saules têtards. M. Blanc, Guide illustré du sylviculteur canadien. Montréal, 1883.

Au Québec, pour l’île de Montréal et autour, à part dans de rares textes savants assez récents sur les paysages, «bocage» a toujours été entendu dans le sens de boisé, qu’il soit naturel ou planté. Bien qu’il soit donc peu utilisé dans ce sens paysager étendu cela ne diminue en rien la réalité des mosaïques vertes d’écotopes épars, plus ou moins inter-connectés par des réseaux de haies. Que «bocage» ne soit pas alors utilisé pour nommer ne réduit pas l’utilité du concept ou de son fonctionnement écologique. En écologie urbaine la notion de bocage devient utile parce qu’elle offre une prise, une méthode d’analyse, sur ce qui souvent est évanescent ou éclaté, peu remarqué ou jugé inintéressant.

Vers 1920. La rivière des Prairies. Montréal à gauche, Laval à droite.

Hamelin parle tout de même d’un aspect bocager, supposé naissant, dans les années 1950 qui 

«gagne les terroirs rangiques. Un relâchement dans le lourd entretien des clôtures favorise la formation d’espace linéaire arbustif et boisé, délimitant les parcelles ouvertes».

Notons en passant une apparente répugnance à utiliser le mot «haie»… La formation d’espaces linéaires n’était pourtant pas un phénomène nouveau: c’est une constante écologique en milieu parcellisé. Tout comme les mauvaises herbes, les haies… poussent! Le temps et les processus écologiques font le travail. Jugez avec la photo au-dessus de Cartierville ci-contre, prise en 1929. Lors de la construction de l’autoroute des Laurentides, cinquante plus tard, c’est encore vrai: les haies et le bocage sont encore plus touffus! Les parcelles orthogonales de notre paysage n’interdisent pas du tout l’appellation bocage. Le maillage est toujours une adaptation locale, variable comme la topographie et son histoire.

Les aléas des changements de gestion agricole peuvent faire illusion (pour un temps…) sur l’efficacité de la pression des processus écologiques. Les haies peuvent disparaître lors de la fusion des parcelles afin de maximiser la surface et le rendement, par exemple. Dans d’autres lieux, les haies gonflent en fonction des usages et des pratiques, des politiques, de l’économie ou de la spéculation foncière de chaque époque. Le bocage épanoui de l’île Bizard nous donne un exemple de la complexité des facteurs l’ayant généré.


Près de la Meuse, Belgique. Destruction des haies. Gommage du bocage! Illustration: RL.

C’est une notion fondamentale du bocage et de la haie: ce sont les produits croisés de l’histoire humaine et de l’histoire naturelle. Et du temps…

Dans un contexte agricole, le Ministère de l’Environnement et de la Faune du Québec publie en 1996 un fascicule qui parle des bienfaits écologiques de la haie brise-vent. L’expression «haie brise-vent» est peut-être restrictive (ou pudique!) mais les rôles d’écotope et de biocorridor de la haie sont tout de même reconnus. On ajoute même des services environnementaux rendus par celles-ci au producteur agricole:

«En ralentissant la vitesse des vents, ces haies protectrices jouent plusieurs rôles sur le plan agricole. Elles diminuent notamment l’érosion des sols, augmentent la croissance des cultures et favorisent un meilleur étalement de la neige dans les champs.»


Ouest de l'île de Montréal, 1948. Détail. Photo: AdM. DP.


Haies, fossés, milieux humides et boisés. Illustration: RL.

Dans l’ouvrage De la haie aux bocages, Sylvie de Blois a publié ce texte instructif: Un bocage peu connu au Québec. Parlant de l’histoire différenciée des réseaux de haies en territoire agricole du Sud du Québec elle écrit: 

«Bien qu’ayant fait l’objet de quelques restructurations avec l’abandon progressif des terres agricoles durant la deuxième moitié du XXe siècle, ce paysage conserve des réseaux de haies relativement bien structurés avec un maillage fin et un degré de connectivité élevé. Dans ce contexte, on peut parler d’un bocage québécois, quoique ce terme soit ici peu utilisé»

Aujourd’hui dans l’ouest de l’île de Montréal, les prairies humides de l’Anse à l’Orme à Pierrefonds sont donc bien un bocage… le dernier présent sur l’île de Montréal. 


Aéroport de Cartierville à  Saint-Laurent. 1920. La division orthogonale des terres a produit un bocage... orthogonal.


Haies, boisés et le ruisseau Bertrand soulignés. Illustration: RL.


Quelques parcelles figurées.

la fin de ce deuxième chapitre viendra bientôt...


à suivre donc...


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Commentaires

  1. J'ai eu un réel plaisir à lire et apprendre sur les bocages et les haies. C'est très bien écrit et illustré. Dommage que je ne puisse mes procurer vos autres ouvrages. Je fais malheureusement partie des détenteurs de PC et comme d'autres privés d'acquisition de ces livres numériques en raison de l'incompatibilité des formats. Merci de ce généreux partage, vivement la suite !

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