La Haie dans le Bocage Urbain. 2.
Voici la suite du chapitre 2. Désolé d'avoir ainsi fractionné le chapitre, l'adaptation est un peu plus longue et compliquée que prévu!
Bocage urbain
Je spécifie «bocage urbain» donc, parce que l’expression et le concept sont utiles pour se représenter la variété hétéroclite des éléments écopaysagers de la ville. Si on s’intéresse à la biodiversité, l’expression fait mieux rechercher ces éléments et constater la fragmentation spatiale entre eux. L’expression nous aide à se représenter la structuration de cette mosaïque verte, avérée ou en réserve. La biodiversité que nous constatons lui est intimement liée: elle en est même en fait le produit.
Penser en terme de bocage permet de voir le biome urbain et de comprendre son écologie et son fonctionnement. Cela permet peut-être surtout, d’en comprendre les dysfonctionnements et de pouvoir y remédier. Car il s’agit enfin de révéler tout son potentiel.
«Bocage urbain», parce que le milieu urbain, ce n’est pas tout à fait le milieu rural… du moins pour nous les humains! Nous percevons les différences entre ces milieux mais il en va tout autrement des espèces partageant nos espaces de vie. Toutes ces espèces sont plutôt à la recherche des similitudes entre ces milieux. Elles cherchent ressources, abris et partenaires. Leurs radars sont spécialisés dans la détection d’éléments écopaysagers offrant ce qu’elles nécessitent. On ne trouve pas de traité du paysage au nid ou dans la tanière. Si de nombreuses espèces évitent bien plus souvent nos parcs que nos friches, c’est que leur idée de la nature est en effet assez différente de la nôtre. Nos parcs, pourtant bien verts, souvent décorés et équipés au goût du jour, sont trop souvent pour elles des déserts biologiques infranchissables. Les excès d’éclairage et de bruit dans nos rues et autour ne les favorisent pas non plus, ce sont des barrières abiotiques pour de nombreuses espèces.
Toutefois, comme je le dis souvent: faites l’habitat et les espèces le trouveront… et, en ville, à cause de la trame urbaine orthogonale, ce sera surtout des habitats linéaires.
Pour toutes ces espèces donc, notre paysage «culturel», le bâti de nos villes, n’existe pas ou n’est pas très invitant. Pour la plupart des espèces, notre bâti, c’est un creux. Elles cherchent le contre-paysage de nos représentations et de nos façons d’aménager la ville et ses alentours. Ce qui les intéresse ressemble beaucoup plus à ce qui ne nous intéresse pas. De notre côté nous avons justement de nombreux espaces négligés, résiduels et difficiles à intégrer, qui ne nous intéressent pas. Ce sont là de nombreux champs des possibles!
Je veux précisément attirer l’attention sur ces lieux avec la proposition de les valoriser écologiquement. Ce sont des sites où nous pouvons appliquer les méthodes d’enrichissement ou de création d’écotopes avec les méthodes que j’esquisse plus loin.
Il faut se départir du paysage rétinien, décoratif, de façade et de besogne souvent si pauvre qu’il apparaît stérile. La nouvelle lecture/écriture élargie du paysage urbain que je propose fait de la place aux processus naturels et à la diversité des formes du vivant. Je crois aussi que ces propositions offrent un cadre de réflexion en ce qui concerne la conservation des habitats: il faut accorder la même valeur à un bocage agricole en friche qu’à une forêt mature par exemple.
Si nous voulons de la biodiversité en ville, si nous souhaitons des lieux de ressourcement et de contact avec la nature, si nous voulons de meilleurs services écosystémiques, il faut changer nos lunettes et enrichir nos pratiques. Voyons tout d’abord ce qu’on peut faire avec ce que nous avons sous la main en termes d’espaces.
Transcription
La ville est-elle si différente du milieu rural? Oui et non donc… D’une part Montréal et la trame orthogonale des rues de ses quartiers sont littéralement des émergences de la trame agricole d’autrefois. La grille contemporaine des rues, des parcs, et des ruelles est calquée sur les limites des parcelles agricoles et des chemins du passé. On pourrait croire que cette transcription est simplement géométrique, une affaire strictement cadastrale, mais ce n’est pas tout.
L’héritage est en fait bien plus grand.
Outre les limites des parcelles agricoles et les quelques vieilles maisons de ferme conservées ici et là, d’autres éléments du bocage d’autrefois transparaissent. L’aspect le plus visible en est la survivance de vieux arbres semblant isolés et de haies, souvent transformées ou réduites. Il faut garder à l’esprit que, dans certains quartiers, ce passé n’est éloigné que de cinquante ans. Dans certains autres quartiers cette transcription a lieu au moment même où vous lisez ceci. C’est le cas des haies dans l’arrondissement Saint-Laurent.
L’héritage est bien plus grand, je disais: il faut constater qu’un échantillonnage de la forêt d’origine et de sa biodiversité avait trouvé refuge dans le premier bocage de la région. Ce bocage portait le patrimoine génétique des espèces présentes avant l’arrivée des Européens. Ce n’est certainement pas banal! Dans certains lieux le bocage des siècles passés a survécu presqu’intact aux massives transformations du milieu. Ces haies jouent encore le rôle de relais génétique de la biodiversité de notre région. C’est un de ces services invisibles rendus par une forme oubliée… Utile le bocage, résiliente la haie!
En parallèle d’un patrimoine architectural, pour lequel nous faisons beaucoup d’efforts de conservation et de mise en valeur, nous avons donc hérité d’un autre patrimoine, vivant celui-là: le patrimoine génétique de la biodiversité d’origine conservée dans le bocage et les haies de Montréal. Nous lui accordons toute l’attention qu’il mérite?
Le bocage est un processus dynamique qui a fait ses preuves (si besoin était…) mais il n’est pas seulement une affaire du passé. Des haies et des boisés se forment encore à la périphérie urbaine ou dans nos quartiers centraux, selon les mêmes procédés qui les ont toujours produits. Le Champ des Possibles est (ou était…) enclos de haies parce qu’il était entouré de clôtures. L’expression anglaise fencerow, intraduisible, rend si bien cette réalité. Ailleurs nous faisons même des quasi-haies sans le savoir… et leur qualité écologique aurait été bien plus grande si on avait cherché à faire autre chose que de l’écogentrification ou du travail de maintien de la valeur foncière par les services publics. L’horrible visage du façadisme vert et de la stabilité fiscale est partout!
Les services écosystémiques que nous rend la biodiversité dépendent évidemment de la qualité biologique des écotopes du bocage. Cette qualité dépend de la multiplicité des morphologies, de la diversité des espèces et la plus grande intégralité des processus écologiques qu’on y trouve. En retour, la richesse de cette biodiversité est garante du maintien et de la qualité des services environnementaux rendus par le bocage.
Ainsi tout cet essai procède de la question de la biodiversité en milieu urbain et je vous préviens: le beau ressemblera beaucoup à l’utile. Pas de rosiers, pas de lilas, pas de tulipes. Pas de tomates ou de kale non plus! Redonner place ainsi à la nature et aux espèces indigènes c’est faire preuve de maîtrise, de maturité et de sérieux. Bousculant nos représentations, nos pratiques et nos préférences, la notion de bocage urbain et l’adoption de la forme écopaysagère de la haie en sont des outils nécessaires.
Plaçons-nous alors plutôt du côté du non-aménagement où ce ne sont pas tant nos affirmations esthétiques, politiques ou sociales mais nos connaissances écologiques qui mènent le bal. Plaçons-nous du point de vue d’une gouvernance paysagère qui inclut la biodiversité dans les espaces humains.
Plaçons-nous à vol d'oiseau et regardons à une échelle plus grande. Plaçons nous aussi dans une position d'écoute et d'observation. Que se passe-t-il? Par où vont les processus de colonisation des végétaux par exemple? Vous voyez ces étendues de pierres et d’herbes qui deviennent champs, puis friches arbustives? Vous voyez ces haies qui se forment spontanément contre les clôtures? Vous voyez ces boisés qui débordent par leurs semences, verdissant nos points aveugles?
La biodiversité urbaine sera aussi grande que la place et la considération que nous lui accorderons. C’est dire que nous pouvons faire mieux par une modulation sensible de nos méthodes d’aménagement. En réponse à la densité du bâti et à la rareté des espaces je propose un opportunisme vert par la valorisation des espaces négligés, impropres à recevoir quoique ce soit d’autre que des haies écotonales denses et diversifiées. Je propose surtout que l’impulsion d’acteurs citoyens bien informés dirigent la création, la mise en place, la gouvernance et la gestion de ces nouveaux espaces verts. Nous serions bien avisés de tabler sur ce potentiel des plus fertiles pour la protection et l’enrichissement de la biodiversité.
À suivre...
Excellent travail !
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