La Haie dans le Bocage Urbain. 3.
J'améliore un peu ma méthode d'adaptation... vous trouverez encore quelques incohérences entre le texte et les images toutefois... Voici donc le chapitre 3... en un seul morceau!
Chapitre 3: Bocage de Ville-Marie
J’examine dans ce chapitre l’origine, l’évolution et la dissolution du premier bocage de l’île de Montréal. Celui-ci s’était établi au Nord-Est et Sud-Ouest du site de Ville-Marie. Je m’attarde surtout à cette partie, la mieux documentée, de part et d’autre du chemin Saint-Laurent qui va du ruisseau Saint-Martin à la Côte-à-Baron et vers l’Ouest à la ferme des Sulpiciens. Je me base sur l’analyse de la documentation disponible en ligne dont les illustrations ont souvent été retouchées et traitées graphiquement.
L’iconographie est très limitée pour le début de cette période. Les deux premières images sont des représentations un peu floues pour nos besoins: les cartographes étaient occupés à dégrossir une première connaissance du territoire. Appuyées par quelques textes contemporains, ces cartes offrent tout de même une idée de l’occupation et de la transformation du territoire par les amérindiens.
16e et 17e siècles
Cette carte de Giacomo Gastaldi a été dressée à partir des descriptions d’Hochelaga par Jacques Cartier lors de son deuxième voyage au Canada en octobre 1535. Il s’agit d’une représentation schématique, un peu imaginaire (avec un bouc!) mais la bourgade des amérindiens et leurs champs cultivés sont néanmoins figurés.
Cartier est probablement débarqué à Longue Pointe (en amont de laquelle le courant Sainte-Marie rendait la navigation difficile). Il a ensuite marché sur des sentiers
«aussi battu qu'il soit possible, & plus belle terre & meilleure qu'on scaurait veoir, toute plaine de chesnes aussy beaulx qu'il ayt en forest de France»
Il paraît évident que le territoire est occupé depuis longtemps! Et que ces sentiers semblent traverser une belle forêt bien aménagée…
Où était donc le village de Hochelaga? À la lecture des différents récits je suppose que Hochelaga était à mi-chemin des champs cultivés près de la Pointe-à-Callière et le mont Royal, assez haut pour voir venir les voyageurs ou ennemis de loin sur les cours d’eau et bien plus haut que ne pouvait atteindre les crues printanières du grand fleuve.
Des descriptions du territoire environnant et de l’occupation amérindienne que l’on tire du récit de Cartier, toutes traces semblent disparues quand Champlain arrivera 75 ans plus tard.
Tout, à part les champs (qui seront alors en friche), les sentiers et les «bois clairs».
Ainsi des friches étaient les seules traces évidentes de l’occupation passée dont a rendu compte Champlain lors de son passage à Montréal en 1611. Il constate à son tour les bois clairs qu’il traverse en marchant 8 lieues (26 kilomètres) vers le Grand Sault (les rapides de Lachine). Le meilleur endroit pour établir sa Place Royale (la Pointe à Callière actuelle) sera près du ruisseau Saint-Martin, à l’endroit où il se jette dans le fleuve Saint-Laurent. Ce choix de l’emplacement par Champlain est une réitération des avantages naturels constatés tant par les Iroquoiens que Cartier. Les rapides en amont et les courants en aval sur le fleuve Saint-Laurent imposent le site où on pouvait profiter du travail d’aménagement passé en plus de la présence d’un bon port pour les navires et les embarcations d’alors.
Champlain mentionne spécifiquement les terres qui étaient autrefois cultivées par les amérindiens qu’il situe avec une certaine précision. Il les fait défricher. Notez l’inversion de la rose des vents et remarquez les « bois clairs », graphiquement distincts des forêts comme celle du mont Royal.
Samuel de Champlain. 1611. Gravure. DP.
«A Petite place que je fis deffricher.»
«E Prairies où se mettent les sauvages quand ils viennent en ce pays.»
«Et proches de ladite place Royalle y a une petite riviere qui va assez avant dedans les terres, tout le long de laquelle y a plus de 60 arpens de terre desertés qui sont comme prairies, où l'on pourroit semer des grains, & y faire des jardinages. Autresfois des sauvages y ont labouré, mais ils les ont quitées pour les guerres ordinaires qu'ils y avoient.»
Des friches se trouvent de chaque côté du ruisseau et c’est le site où s’installeront 30 ans plus tard les fondateurs de Ville-Marie. Le premier Montréal est ici, de part et d’autre de la Pointe à Callière. On oublie qu’il s’agissait d’une grande friche agricole amérindienne et d’un probable site d’un village (d’été?) disparu…
Si ma lecture est juste, ces 60 arpents couvrent d’une part l’ouest de la Place Royale puis s’étendent dans l’autre direction (Est) le long du ruisseau Saint-Martin, suivant le méandre dans lequel se trouve le site plus élevé, en dos-d’âne, qui sera plus tard celui de Ville-Marie. Le paysage néo-français de Montréal et le bocage villemarien sont nés!
Les Iroquoiens cultivaient des lots «permanents» sur les terres inondables. La topographie plane de chaque côté du fleuve Saint-Laurent offrait de nombreux sites de ce type: à Laprairie (justement nommée…) ou dans le sud de l’île de Montréal, de la pointe Saint-Charles, autour du lac à la Loutre, à la Petite Rivière Saint-Pierre ou au ruisseau Saint-Martin.
Ajoutons que les sols de ces zones inondées chaque printemps connaissaient un enrichissement par les alluvions et qu’elles offraient des occasions de pêche incomparables. L’attrait de ces sites était évident.
Autour, ce n’est pas la forêt vierge. Il faut garder à l’esprit que l’île de Montréal avait déjà été transformée par la présence des humains. Tout comme Cartier, Champlain parle de «bois clairs» dans lesquels la circulation est aisée. Il s’agissait non seulement des sentiers bien parcourus mais aussi probablement des traces persistantes de la gestion par le feu de ces véritables parcs de chasse qu’étaient les forêts pour les premiers occupants.
C’est une forêt modifiée, anthropique, qui attendait les explorateurs. Les forêts d’Amazonie ou de Nouvelle-Guinée portent des empreintes humaines discrètes. Elles sont révélées par la fréquence et la répartition des arbres à fruits ou à noix le long des voies de communication. Ce n’est pas le fruit du hasard! Les Iroquoiens aussi propageaient les arbres à «noix»: chênes, caryers, hêtres, etc. Les forêts de l’île avaient été transformées par une présence plus marquée de ces arbres. Il faut ajouter la gestion de la végétation de sous-étage par le feu. À leur tour ces arbres et le sol dégagé favorisaient une certaine flore et une certaine faune et c’est toute l’écologie de l’île qui s’en trouvait modifiée. Le but était de favoriser le gibier et de rendre sa chasse plus aisée!
Ce n’est pas encore de l’élevage de bétail (le cerf de Virginie...) ou de volaille (tourte voyageuse...) mais nous n’en sommes pas très loin! Notons que ces deux espèces animales consommaient, en commensaux avec les humains, des glands de chêne et des faines de hêtre.
Ville-Marie, fondée en 1642, a une quarantaine d’années. Ce plan est sommaire mais néanmoins instructif: à part un moulin à vent sur le fleuve, il ne montre rien à la Pointe-à-Callière. Certaines constructions, ne serait-ce le Fort Ville-Marie en ruine, s’y trouvaient néanmoins. Par ailleurs, quelques cabanes sont figurées au site du futur faubourg des Récollets. Le ruisseau « Saint-Laurent » (à côté de la rue Saint-Laurent, il n’a jamais été nommé je crois) n’est pas figuré. Un autre moulin se trouve au sommet de la butte que l’on nommera la Citadelle. On voit donc la jeune ville avant l’érection d’une palissade par le Gouverneur de Denonville.
Maïs. D'après Louis Nicolas, Codex Canadensis. c1700. DP.
Depuis la ville, un sentier amérindien (le chemin de la montagne, nommé aussi «des sauvages») traverse des prairies, des pâturages humides probablement, se dirigeant vers les hauteurs. À l’époque où de Denonville fait ce plan, le sentier allait vers la mission (le futur Fort des Messieurs) occupée par des amérindiens. Ils s’y trouvent déjà depuis quelques années. Ce sentier allait peut-être autrefois vers le village d’Hochelaga?
Plan de 1685, de Denonville? DP.
Il est toujours intéressant de voir le cours naturel du ruisseau Saint-Martin dont le réseau drainait tout l’actuel Plateau Mont-Royal. Les affluents (comme la petite rivière Saint-Pierre) ne sont pas indiqués. La page suivante vous montre le réseau des affluents du ruisseau Saint-Martin.
Dans les années 1980 je me souviens d’avoir vu avec étonnement, à la faveur de travaux sur la rue McGill, les galets arrondis d’un ruisseau enfoui et mis à jour par le profond et énorme trou. Je croyais à l’époque que c’était la petite rivière Saint-Pierre mais le cours était parallèle à la rue McGill: perplexe, sans le savoir, je voyais en fait le lit du méandre du ruisseau Saint-Martin! J’aurais dû descendre et prendre un de ces galets de paysage enfoui...
18e siècle: émergence du bocage
Les représentations suivantes font voir que la présence de bosquets, de boisés, de haies et de vergers devient une constante du paysage villemarien. Ces éléments sont plus ou moins précisément localisables d’époque en époque jusqu’à aujourd’hui. On peut à l’occasion suivre leur croissance, d’image en image. Et tout permet d’imaginer la diversification, l’enrichissement graduel en espèces, la stratification des haies dans un milieu rural relativement stable. Pour un temps…
Les représentations de Montréal depuis le mont Royal ou de son pied, avec vue sur les champs plus bas et la ville fortifiée sont les plus nombreuses et forment une heureuse série chronologique. Elles témoignent de la naissance des premiers faubourgs. Ce point de vue est biaisé et ne voit que très peu ce qui se tramait ailleurs. On voit peu la ferme de l’Hôpital général des Frères-Charon (au sud-ouest), elle aussi issue d’une friche amérindienne héritée, assimilée, si l’on en croit la carte de Champlain.
L’avantage de cette documentation localisée, souvent favorisée par les hauteurs du mont Royal donc, est certain: l’évolution du paysage agricole et de son urbanisation a été représenté de façon continue pendant plus de deux siècles et demi. En un premier temps, la grille rurale coloniale s’amorçait sur les différents sites d’occupation amérindienne. Le cadastre rangique résultant de cette première transposition sera ensuite intégré à la grille urbaine contemporaine.
Ces plans de Chaussegros de Léry nous donnent à voir, hors la ville maintenant fortifiée, la division des terres typique en rubans perpendiculaires (les côtes) au fleuve Saint-Laurent. Nous voyons aussi les cours d’eau, les boisés et nous avons en plus une bonne idée de la topographie des environs. Que voit-on le long des chemins et des ruisseaux? Ou entre les champs cultivés et ce qui devait être des pâturages humides au nord du ruisseau Saint-Martin? On voit des lisières vertes et des haies spontanées. On voit aussi des jardins, des potagers et des vergers. Ils se trouvent dans la ville fortifiée ou en-dehors, ils sont emmurés, quelquefois enclos par des haies qui sont plantées, cette fois.
Parallèlement au petit ruisseau (un sentier s’y trouvant probablement déjà) on avait tracé le chemin Saint-Laurent en 1717. Dans la palissade, puis dans les fortifications, une porte aura le même nom. Ce qui allait devenir le boulevard Saint-Laurent était destiné à traverser l’île et rejoindre le Sault-au-Récollet sur la rivière des Prairies.
En 1725 la ville n’a qu’environ 80 ans et compte quelques 4000 habitants. Ce qui deviendra le faubourg Saint-Laurent n’est pour l’instant qu’une mosaïque de parcelles agricoles au-delà du ruisseau Saint-Martin. Ces cultures s’étalent jusqu’au pied de la Côte à Baron (la rue Sherbrooke actuelle), au-delà de laquelle on imagine des terres défrichées et des forêts, traversées de ruisseaux et de quelques chemins vers les carrières du plateau et encore plus loin vers le nord où les côtes (comme on nomme les « rangs » de Montréal) de colonisation sont déjà en place.
La longue histoire de l’occupation du Sud-Ouest explique que le développement hors la ville y soit plus avancé: le faubourg Saint-Antoine et celui de Saint-Gabriel se dessinent déjà.
Éventuellement la croissance du faubourg Saint-Laurent fera disparaître ces premières terres agricoles d’en bas, le bocage se déplacera vers le nord en se fractionnant vers l’est et l’ouest.
Déjà au milieu du siècle, Pehr Kalm, qui descend le fleuve vers Québec, parle du rivage habité et de population dense et de bois abattus sur une profondeur d’un mile anglais. De chaque côté du fleuve il voit un paysage continu de champs de blé et de prairies. Cela est valable pour les côtes de la périphérie de l’île mais près de Ville-Marie et de l’axe du chemin Saint-Laurent on peut penser que le paysage est plus profondément transformé.
James Peachy, 1784. British Library. DP. Quelle superbe vue!
Le territoire est certainement marqué par l’omniprésence des vergers! On ne voyait que très peu de ceux-ci sur les cartes antérieures. La ville est sous l’occupation britannique et je ne sais si cela a été un facteur dans le changement d’utilisation des champs de culture et des pâturages. Peut-être les officiers aimaient-ils les pommes? La consommation de cidre augmentait peut-être ou est-ce que les pommes étaient devenues produit d’exportation…
J’ai passablement retravaillé cette vue de Thomas Wright afin d’aider la lecture. Ville-Marie a 128 ans et c’est toujours la campagne autour. On y voit des pâturages et des haies se devinent déjà tout au long des clôtures. Ces dernières sont de deux types: en piquets de « cèdres » pour la plupart mais aussi en planches, des palissades (en thuya toujours!). Sans doute un signe de meilleure fortune. D’après la carte de Vachon, 1702 les forêts de l’île comptaient de grandes étendues de Thuja occidentalis, le thuya, communément appelé le cèdre. C’est un bocage vieux d’une centaine d’années que l’on voit sur ce dessin.
D'après Thomas Wright. 1770. A South east View of the City of Montreal in Canada. DP. Illustration: RL.
La morphologie des haies semble spontanée et je parie sur la présence de quelques arbres typiques: des aubépines et le cerisier de Virginie, mais quoi d’autre? À coup sûr des ormes d’Amérique et des frênes, tous deux d’excellents colonisateurs. Dans les ravins et aux abords des ruisseaux: des peupliers, des saules et des aulnes? Les haies de framboisiers dont parle Kalm laissent penser qu’on trouvait ces généreux fruitiers le long des chemins à Montréal aussi. L’aubépine caractérisait sans doute déjà les anciennes parcelles amérindiennes qu’elle encerclaient: c’est un élément constant des lisières, de l’écotone forêt/milieu ouvert. Voilà pourquoi elle me semble emblématique de la biodiversité bocagère de l’île de Montréal.
Notez que la vue est faite depuis le dessus de la Côte-à-Baron dont le sommet est la rue Sherbrooke actuelle. Tout juste à droite de l’arbre c’est le chemin Saint-Laurent. Tout au bout, c’est la porte du même nom dans le mur des fortifications.
James Peachy, 1784. Détail: le faubourg Saint-Laurent et le ravin.
Un réseau de clôtures de piquets de thuya et quelques murets ou murs de pierre délimitent clairement toutes les parcelles. J’ai redessiné ce réseau en soulignant les haies, les boisés et les clôtures qui composent alors le bocage. On constate ici encore que ce sont les clôtures qui génèrent ces haies.
Notons que la porte de la Paroisse donne sur un pont en arc de pierre qui enjambe le ruisseau Saint-Martin mais on ne peut voir quel type de pont menait vers le chemin Saint-Laurent.
Sur la rive Sud, au-delà de l’île Sainte-Hélène, nous voyons les terres dont Kalm disait que c’était « la plus belle contrée de l’Amérique du Nord que j’ai encore vue ».
19e siècle: le bocage de maturité
D'après Charland. 1801. DP. Détail. En vert: les vergers.
Le bocage aura eu le temps depuis 150 ans de prendre de la maturité avec des haies bien développées, des vergers et lots cultivés ou en pacage. La ville sort toutefois de ses fortifications et la fortune des marchands leur donnera bientôt l’idée de s’installer là-haut sur le piedmont de la montagne. En-dessous dans le bocage encore productif les habitations se multiplieront et se dresseront bientôt en maisons en rangées… la démographie est galopante.
Avant cet effacement annoncé toutefois, quel beau paysage Montréal a connu!
Bien qu’imprécisément représentés les vergers sont nombreux sur cette carte de Charland! Je souligne ici en orangé l’intersection du chemin Saint-Laurent et de la rue Sherbrooke (nommée Sainte-Marie à l’époque) et d’un affluent du ruisseau Saint-Martin le ruisseau Saint-Laurent, celui qui coule dans le ravin si souvent représenté, complètement oblitéré aujourd’hui.
D'après Dillon. 1803. DP.
Ici aussi j’ai retravaillé cette image de Dillon avec sa perspective douteuse et un dessin un peu maladroit dans le but de faire ressortir les clôtures et les éléments écopaysagers. Les haies sont encore collées aux clôtures de thuya qui sont toujours de deux types: à piquets et en planches.
Hors les murs, entre l’ancienne église Notre-Dame (qui est en plein centre) et les moulins de la pointe Saint-Charles, on voit un verger devant l’église des Récollets. Devant les moulins tout à droite, ce sont les terres de l’Hôpital général des Frères-Charon.
E. Walsh, 1811. A View of Montreal, & the River Saint-Lawrence, from the Mountain. British Library. DP.
La page précédente nous fait voir une autre vue d’automne, une aquatinte de E. Walsh cette fois. Contrairement à l’aquarelle de Peachy, nous n’avons pas les «méta-données»... mais l’ombre que projette la butte de la citadelle et la couleur dominante de la gravure nous indique un lever du soleil à l’automne. C’est un choix intéressant par le peintre puisqu’il fait ainsi bien ressortir la topographie par cette lumière rasante. Le monticule de la citadelle (vis-à-vis l’île Sainte-Hélène) sera nivelée vers 1820 afin de faire passer la rue Notre-Dame vers l’est.
Devant la colonne de sa tombe (à l’avant-plan) on voit la maison du grand commerçant Simon McTavish, une des premières grandes demeures construites «loin» de la ville. De plus nombreuses maisons de pierre, en rangée, occupent maintenant le faubourg Saint-Laurent, mais de part et d’autre c’est encore le milieu rural. On y trouve encore des haies et des boisés, des pâturages et des vergers.
Bouchette, 1815. DP.
Les cartes précises et détaillées de Bouchette sont des mines d’informations. Le bâti, la topographie, le nom des propriétaires, tout est parfaitement indiqué et représenté. L’arrivée d’un nouveau cimetière protestant est un signe qui ne trompe pas: la population est en mutation et en croissance...
Matthews, c. 1830. British Library. DP.
Scène pastorale, vue de la montagne, par Matthews. La date est probablement une erreur: le peintre aurait anticipé (mais cela s’est déjà produit!) la démolition du clocher de l’ancienne église encore debout et la finition des hauts clochers de la nouvelle Notre-Dame en 1843. La vue semble être depuis le domaine des Sulpiciens.
«L’éclat pur et brillant de notre ciel, durant notre court et luxuriant été, n’a rien à envier à l’Italie; et la lueur de la lune canadienne ne perd rien de sa splendeur quand on la compare à ce qui brille sur les mosquées et minarets d’un ciel d’Orient» Anonyme, 1829.
L’ancien clocher de l’église est toujours debout et ceux de la nouvelle Notre-Dame ne sont pas encore achevés. Le topographe militaire ne fait pas d’approximation dans ses rendus. La superbe vue est prise depuis les terres, jardins, vergers (avec même des vignobles!) du fort de la Montagne, le domaine des Sulpiciens. Ces environs ont bien changé depuis ce beau travail de Bouchette!
La population Montréal atteint maintenant 40,000 personnes. Dans le « bas », au loin, les faubourgs se développent, des édifices religieux et institutions publiques se multiplient et s’installent hors la vieille ville. Les chemins se transforment en presqu’avenues, mi-rurales, mi-urbaines, bordées des grands arbres noirs, les peupliers de Lombardie, apparus une dizaine d’années plus tôt.
Bouchette, 1831. DP. Chasseurs avec leurs chiens et cueillette des pommes. Un des plus beaux panoramas de l'époque.
L’espace entre la ville et ses noyaux d’urbanisation et le pied de la montagne est encore partagé avec des vergers et des potagers «produisant des légumes de toutes sortes d’excellente qualité et en profusion». Bouchette mentionne groseilles, petits fruits (amélanchiers?), fraises, framboises, pêches, abricots, quantité de prunes parfaites et de nombreuses variétés de pommes. Des abricots et des pêches? Il fallait butter et couvrir ces arbres pour l’hiver… On y mettait vraiment l’effort! Il existe encore au moins un vieil abricot qui produit à Montréal. Un cultivar adapté et à propager assurément… Il y a de l’espoir!
W.H. Bartlett. Tiré de Canadian Scenery Illustrated. N.P. Willis, drawings. London, 1842. DP.
Cette douce et bucolique vie bocagère ne sera plus de longue durée. Quand les villas se multiplient ce ne sont plus des villas mais des maisons… Le milieu agricole est comprimé par deux réalités urbanistiques: d’une part le paysage se monumentalise en s’accessoirisant et, d’autre part, il s’essouffle devant les nouveaux quartiers et se monnaye chèrement. La ville pousse, les maisons en rangée se dressent. La grille moderne du bâti de la ville est esquissée par les noirs peupliers.
Contemporaine de la vue précédente de Bouchette, nous voyons à droite un paysage bocager subjugué, bien taillé, urbanisé, encore un brin rural. Tout cela est au goût du jour des clients du peintre de l’époque assurément. Métropole des colonies britanniques du Haut et du Bas-Canada, Montréal se développe! Avec un petit air impérial toutefois...
Il est intéressant de souligner la présence du peuplier de Lombardie, grand marqueur de l’espace, faisant des allées imitant la Toscane. C’est maintenant l’arbre symbole d’une régularisation de l’espace urbain donnant (enfin...) une touche classique civilisatrice à la ville qui devient riche et peuplée. Par ailleurs comme l’espace deviendra de plus en plus rare, l’étroite forme de l’arbre se révélera bien utile. En parallèle de tout cela les haies, certains boisés, vergers et pâturages sont encore présents…
Sur la page précédente, cette vue de Bartlett, vers 1842, nous montre Montréal qui a maintenant 200 ans… la nouvelle ville n’est plus confinée près de l’ancienne dont les fortifications ont été démolies au début du siècle (vers 1801). On voit encore des pâturages et des champs clôturés et on observe en même temps des cheminées d’usines et des bateaux à vapeur… Nous témoignons du début de l’industrialisation. On voit aussi l’imposante nouvelle église Notre-Dame avec ses tours inachevées, sans doute un cauchemar de plus pour les protestants d’en haut! Sur la gravure, l’air italianisant et champêtre des hauteurs offre tout de même un contraste entre le piedmont et la ville plus bas. Ça sent l’appel publicitaire aux capitaux pour des projet de développement… L’assaut final sur le premier bocage est imminent…
Duncan, 1839. Aquarelle. AdM. DP.
Malgré la présence des haies, les champs ont l’air de parcs à la pelouse bien tondue sur la gravure d’Edwin Whitefield. La ville d’en bas atteint maintenant la rue Sherbrooke (à gauche) et approche inéluctablement des villas d’en haut. C’est surtout par la voie du faubourg et de la rue Saint-Laurent que le pont urbanistique est lancé sur le paysage d’en haut. Le changement de vocation est clairement affirmé, une ville prend maintenant la place d’un bocage.
Les clôtures avec haies délimitent toujours les propriétés mais une nouvelle fonction s’ajoute dorénavant: elles deviennent des écrans verts de proximité filtrant les nouveaux voisins. La parenté de forme et de fonction avec nos ruelles arborées actuelles est intéressante. Ces dernières sont après tout des doubles haies traversées par des petits chemins… comme les chemins creux de Bretagne.
Une rare photo montrant le plateau Mont-Royal cette fois. C’est mon patelin. Prise depuis la tour de la maison Ravenscrag avant la construction de l’Hôpital Victoria (1893) nous voyons l’Hôtel-Dieu en 1869. Presqu’immédiatement derrière celle-ci c’est le chemin Saint-Laurent, déjà assez bien bâti. L’intersection avec la future avenue des Pins est figurée. Au-delà c’est le grand bocage du plateau. La croissance démographique fera pression et le bocage d’en haut ne fera plus long feu! Certains boisés se devinent, la silhouette de l’orme d’Amérique est partout. La grande masse d’arbres au-dessus de l’hôpital est la partie la plus à l’est du futur parc La Fontaine sur l’avenue Papineau. Il semble bien que les érables argentés qu’on y trouve aujourd’hui apparaissent sur cette photo. Le chêne à gros fruit trouvé dans une ruelle à côté de chez moi se trouve probablement sur cette photo!
En terminant, un détail de la peinture de Duncan en 1870. C’est une vue depuis la colline de Fletcher’s Field, avec un angle opposé de la précédente. Derrière le premier groupe de peupliers de Lombardie à gauche, c’est l’Institut des sourdes-muettes sur la rue Saint-Denis devant la rue des Pins qui passe du côté sud de l’hôpital.
On voit bien dans cette haie qui traverse le tableau le sens de croissance et la densification que connaît une haie avec le temps. On voit même la métamorphose d’une clôture paysanne faite de piquets en clôture urbaine en planches!
J'ai beacoup aimé mon voyage dans le temps ! Je suis étonnée par plusieurs détails dont les peupliers de Lombardie et que dire des pêchers et des abricotiers ! Se promener en ville avec vous doit être une aventure historique hors du commun ! J'aurais bien aimé vivre à Montréal du temps de ces bocages, la vie y semble douce et bucolique si l'on ne s'attarde pas trop aux détails diffciles de la vie quotidienne surtout en hiver... Je ne verrai plus jamais Montréal de la même manière depuis ces lectures ! Bravo !
RépondreEffacerMerci de votre généreux commentaire! La suite vous intéressera et vous montrera un bocage encore bien présent!
EffacerMerci de votre généreux commentaire! La suite vous intéressera et vous montrera un bocage encore bien présent!
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