LA HAIE DANS LE BOCAGE URBAIN. 5.

Je poursuis la mise en ligne de mon livre La Haie dans le Bocage Urbain (2016). Gardez en tête le moment et le contexte: l'essentiel de la recherche, des visites et de la rédaction ont été faites entre 2010 et 2015.


Chapitre 5 Meadowbrook

Localisation du terrain de golf Meadowbrook.

Mémoire et paysage

Un des ruisseaux de Meadowbook en 2010.

Les terrains de golf: ce sont des immenses hold-ups paysagers! Ces espaces sont des exclos, minimalement rentables, le temps qu’un développement du site s’annonce plus lucratif. Il arrive toutefois par toutes sortes de hasards, qu’un terrain de golf se trouve avoir conservé un bout de territoire des plus intéressants. C’est le cas du Meadowbrook avec ses 57 hectares d’espaces verts.


Les terrains de golf de la région de Montréal.

Le terrain de golf Meadowbrook chevauche la ville de Côte-Saint-Luc (31 ha) et l’arrondissement de Lachine (26 ha). Le club de golf loue le terrain du Canadien Pacifique, propriétaire avec ses filiales depuis 1917. À l’origine c’était un club de loisirs pour les employés du CP (Canadian Pacific Recreation Club) puis le site a été transformé en golf dans les années 1930 ou 40. Récemment encore, avec un de ces délicieux aphorismes, on avait songé à mettre le site en valeur par la construction d’immeubles à condos dans un quartier vert (tendre…).

1947-2010. Quelques éléments conservés: ruisseaux, aubépines du vallon et de la haie.

L’architecte-paysagiste (et champion de golf) qui l’a dessiné est apparemment Albert H. Murray (1887-1974). Ce dernier est à l’origine de nombreux terrains au Québec et ailleurs au Canada mais son travail à Meadowbrook est malheureusement celui qui est le moins documenté. Le terrain ne comptait à l’origine que neuf trous, du côté de Lachine. S’il s’agit bien du projet qu’il mentionne dans son journal personnel, Murray en avait dessiné les plans vers 1923 mais ce n’est que dans les années 40 qu’ils furent exécutés sous sa direction.

Récemment, après quelques 25 ans de mobilisation, un groupe de citoyens (les Amis de Meadowbrook) voulant préserver l’espace de tout développement a eu raison et le Schéma d’aménagement et de développement de l’agglomération de Montréal a décidé de protéger le site.

Mais qu’en fera-t-on? Que protégerons-nous au juste?


Éléments d’analyse paysagère

Meadowbrook en 1948. Photo: AdM.

Constituant un exemple de « faire-avec », l’aménagement du terrain de golf ne cache pas totalement la trame des champs cultivés autrefois. La topographie variée des lieux a été en bonne partie conservé avec peu de remaniement du sol. Il est extraordinaire que deux bras du ruisseau Saint-Pierre soient toujours présents quand on sait que presque tous les ruisseaux et cours d’eau de l’île sont aujourd’hui disparus. Il y a aussi une haie amaigrie, ponctuée d’aubépines, le long d’un fossé. Son orientation qui diffère de celle des parcours aménagés. Il s’agit d’un héritage de la terre agricole achetée en 1917. Je souligne d’entrée que ces haies rurales sont tout aussi rares que les cours d’eau et qu’il est peut-être temps de d’amorcer une réflexion sur leur protection.


Tracé des parcelles, des haies et des trois ruisseaux.

On lit souvent que deux branches du ruisseau « petite rivière Saint-Pierre » traverse le site de Meadowbrook. On lit moins souvent qu’en fait il y en a une troisième dans la partie à l’ouest de la voie ferrée. Je n’ai que brièvement visité cette partie du terrain (avant d’être expulsé…) mais la topographie était révélatrice: un ruisseau passait par ici. Il n’y passe plus… J’ai tracé le cours des trois ruisseaux tel qu’il apparaissait en 1948.


La trame agricole en transcription sur le terrain de golf.

Encadrant les allées (fairways) du terrain, des alignements d’arbres, surtout composés d’érables argentés, sont un ajout de l’architecte du terrain de golf. Je n’ai pas étudié les règles paysagères ou l’esthétique propres à l’aménagement d’un terrain de golf. Cherche-t-on par ces alignements d’arbres un effet de perspective feuillue ou d’isolation de chaque allées? Ces nouvelles lignes de plantation ne se conforment pas au tracé des terres et des haies que l’architecte intègre néanmoins. 

Murray a préservé de nombreux éléments paysagers dont cette haie agricole. Je ne connais pas les proportions exactes du mélange de son expérience et du hasard, des nécessités du sport, d’un goût anglais du paysage ou de l’influence de Frederick Law Olmsted, mais le résultat est séduisant. 


Les haies agricoles conservées.

La plantation d’alignements d’érables argentés à la croissance rapide s’expliquait probablement par un effet paysager empressé. On peut supposer que les peupliers de Lombardie furent plantés à la même époque en guise d’écran devant la voie ferrée. Ils étaient déjà tous morts en 2010 quand j’y suis allé.


En jaune: les alignements d'arbres plantés.

Ce sont tout de même ces ruisseaux dans leurs ravins qui rendent la topographie si intéressante. Préservés, les beaux vallonets creusés par les ruisseaux sont de plus ponctués d’aubépines qui complètent le rarissime échantillon du paysage rural d’autrefois. Quelle chance! Et quel heureux hasard que les accidents de surface qui font le paysage soient appréciés par les amateurs de golf! J’ajoute que la morphologie des lieux a la même prégnance pour ma mémoire voyageuse. Rassurez-vous, je ne me mettrai pas au golf!



Les haies agricoles, la topographie originale conservée, les différents boisés, les milieux humides vernaux, les ruisseaux dans leur vallon et d’autres éléments comme le muret de pierre au pied du remblai de la voie ferrée se complètent et donnent le caractère singulier des lieux. La cour est pleine! On s’entend sur l’intérêt (l’obligation!) de faire avec et de conserver.


Le Grand chêne à gros fruit (Quercus macrocarpa).

Notes sur la biodiversité

On trouve ici un authentique morceau du bocage du 19e siècle avec un rare échantillon topographique intact. Cette parenthèse paysagère est, de plus, vivante: elle porte une haie agricole: c’est un monument à préserver! Une rareté tant paysagère, biologique qu’historique sur l’île de Montréal. C’est un élément de paysage patrimonial abritant de plus des écotypes d’aubépines centenaires. On trouve ici le plus gros spécimen que je connaisse: le diamètre à 1,40m atteint 72 cm! Cela mérite certainement tous les efforts de conservation. Sans oublier d’en faire une source de propagation…


Les aubépines sur le ruisseau.

Le cenellier est à mon sens, comme aucun autre arbre, sauf peut-être l’orme d’Amérique, celui qui évoque de façon la plus emblématique un paysage en disparition dans le région montréalaise: le bocage du passé agricole. Ces arbres aux destins parallèles partagent une parfaite évocation du passé rural. Ce sont deux arbres compagnons des humains. Si l’orme est aux prises avec la graphiose l’aubépine souffre autant des abus réglementaires surannés.


Les aubépines sur le ruisseau.

On qualifie certains arbres de “vétérans” en Angleterre, où l’âge, la dimension ou même, par exemple, la présence d’un nid de pic-bois sont des critères qui assurent leur préservation. Les remarquables vieilles aubépines du Meadowbrook, qui ont survécu aux siècles, aux bulldozers et aux… architectes paysagistes, rencontrent tous ces critères auxquels on doit ajouter la valeur paysagère historique de leurs  haies. N’oublions pas l’intérêt écologique de ces arbres: la biodiversité des milieux anthropiques mérite une reconnaissance formelle en tant que patrimoine vivant.


Les aubépines sur le ruisseau.

Je n’ai pas encore parlé de toutes les autres espèces intéressantes: un chêne à gros fruit (Quercus macrocarpa) lui aussi plus que centenaire avec son tronc à la circonférence de 425 cm (mesuré par Charles L’Heureux). On semble s’inquiéter de sa santé mais soulignons qu’il a produit quelques rejetons dans le boisé à côté. Il y a en outre de nombreux individus d’érable argenté (Acer saccharinum), de caryer ovale (Carya ovata), de micocoulier occidental (Celtis occidentalis), de sureau du Canada (Sambucus canadensis), etc. on trouve aussi des plantes comme l’anémone du Canada (Anemone canadensis) et même le podophylle pelté (Podophyllum peltatum). Cette dernière et certains des arbres précédents sont des indications d’une ancienne présence autochtone.


Vigne des rivages (Vitis riparia).

Podophylle pelté (Podophyllum peltatum).

Peuplier de Lombardie consommé par un fongus.

Vous voulez parler de biodiversité? Ce chêne et ces aubépines ne sont pas que des valeurs patrimoniales esthétiques ou culturelles. Ce sont en plus d’authentiques écotypes montréalais: un patrimoine génétique de la biodiversité locale. C’est aussi ça Meadowbrook.


La canalisation du ruisseau qui passe sous la voie ferrée.

Érables argentés (Acer saccharinum) plantés.

D’exclos à enclos

Comme à l’île Bizard, Meadowbrook est un vestige du bocage de Montréal dont l’aubépine était un des caractères les plus remarquables. Les Amis de Meadowbrook peuvent s'enorgueillir du succès de leur mission. Grâce à eux nous aurons un nouvel espace vert. D’un exclos ils auront fait un enclos de paysage et de biodiversité.


Le roi des cenelliers, le king des Crataegus.

Meadowbrook ne serait pas le premier parc mis en place à partir d’un des nombreux cours d’eau de l’île toutefois. C’est même une caractéristique de nos parcs. Pensez au parc La Fontaine (dont les valonnets sont emplis d’eau par les bassins actuels), au parc Westmount traversé par le ruisseau Glen, au parc Maisonneuve avec sa branche du ruisseau Molson, le parc Raimbault au point où le ruisseau Notre-Dame-des-Neiges se jette dans la rivière des Prairies. La tradition est bien fondée… Si un ou deux ruisseaux inspirent la création d’un parc, on est certain que trois en feront autant!


Haie sur fossé.

Mis en réserve pour des raisons de spéculations foncières à long terme, les terrains de golf peuvent aujourd’hui être détournés à profit pour la biodiversité par les collectivités. Une métropole dispose normalement des ressources nécessaires à la préservation des paysages les plus rares. Non?


Aubépine de la haie.

L’aménagement éventuel fera-t-il place aux considérations paysagères historiques des lieux? Aura-t-il l’attention nécessaire à sa biodiversité, fût-elle anthropique? Ou viendra-t-on encore gommer, décorer et imposer une vision paysagère de régulation au goût du jour? 



À suivre...


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