LA HAIE DANS LE BOCAGE URBAIN. 6.
Continuons cette mise en ligne de mon livre... l'adaptation de ce livre numérique "enrichi" est bien imparfaite... les textes et les images sont désynchronisés... je prie la patience du lecteur.
Il reste encore 5 chapitres et non les moindres. Vers où allons-nous? Vers le Champ des Possibles (pour lequel il est trop tard!) et à bien d'autres endroits... possibles...
Sortez de votre réserve incongrue et partagez ces billets, c'est tout le sel que je peux attendre pour mon travail...
Chapitre 6 La haie McTavish
Haie sur escarpement: au réservoir McTavish
Cette haie à la flore hétéroclite se trouve dans le Mille Carré Doré, entre l’Université McGill et la maison Ravenscrag sur l’avenue des Pins (… sans pins…). Elle est au coin de la rue McTavish, entre le trottoir et un escarpement rocheux artificiel. Ce dernier résulte du retranchement vertical de la pente rocheuse du mont Royal afin d’y creuser le réservoir d’eau McTavish en 1856. Ce n’est que plus tard qu’on a percé l'avenue des Pins (…) au nord du bassin. Le réservoir à ciel ouvert a été agrandi à quelques reprises puis entièrement couvert vers 1950. Cette surface a été gazonnée et est devenue le terrain de jeu du parc Rutherford. On a préparé une avantageuse situation écopaysagère: un bel escarpement rocheux prêt à être vertement colonisé. Une belle occasion d’auto-paysagement par la biodiversité! C’est une occasion pour nos yeux aussi, le site est exceptionnellement séduisant.
À travers les époques, sans le savoir, une série de travaux d’ingénierie et d’aménagements de toutes sortes nous a donné un paysage vertical rare mais en accord avec la pente rocheuse et verdoyante du mont Royal tout juste plus haut.
Le site est au centre des nombreux pavillons de deux grandes institutions: l’Université McGill et l’Hôpital Victoria. Cette dernière est maintenant déménagée et ses différents édifices attendent une requalification.
Une photo vers les années trente nous montre en fait le riche couvert arboré de la haie et des alentours dans un état qui se compare à l’état récent des lieux, avant les différents travaux qui y ont cours depuis 2013. C’est dire que la tolérance au désordre vert ou que l’appréciation paysagère connaissent d’importantes fluctuations dans le temps… Dans les années 30: c’est plein vert, la haie est là, bien riche et personne de perd de sommeil. Dans les années 50 et 60 c’est le syndrome de la scie mécanique qui corrige les environs des voies automobiles, paradigme aérodynamico-visuel de la bagnole qui impose un lissage des paysages. La haie est alors éliminée.
Puis un lent processus de re-verdissement spontané, une auto-renaturalisation, s’amorce à nouveau dans les années 1970. La dernière photo [vers 1990] de la galerie ci-contre nous montre même des arbres qui croissaient sur le terrain recouvrant le couvercle de béton! Il n’y a peut-être pas meilleure illustration d’une «allée verte» que celle produite par l’avalanche végétale du mont Royal du côté nord de l’avenue des Pins et de la haie McTavish, côté sud. Le vert, ça veut!
Dommage qu’on ne l’ai pas remarqué… ou apprécié le service à sa juste valeur!
Plutôt qu’une croissance continue à partie d’une page blanche, il s’agit ici d’une espèce de pulsation, d’un rythme marqué par l’alternance des périodes où on laisse croître la végétation et les périodes on se met en tête de nettoyer et d’ordonner les lieux. D’où vient donc cette autorité favorisant la minéralisation et la conduite automobile? La circulation est intense mais ce n’est pas une autoroute ici. Il y a aussi beaucoup de piétons qui se rendent au travail autour d’ici. Avec toutes ces frondaisons qui se répandent de tous les côtés, quel beau potentiel de promenade!
Cette haie peut sembler écologiquement isolée, n’étant pas directement attachée à un quelconque boisé ou au mont Royal. Ce n’est pas tout à fait le cas… La contiguïté des milieux est souvent question de perception. Il existe bien une connexion, une continuité aérienne à tout le moins, au-dessus de l’avenue des Pins (… sans pins…) par le comportement des oiseaux. C’est par l’avichorie que la flore de la haie montre des affinités avec celle du mont Royal, un peu plus haut, derrière la maison Ravenscrag. Nos jardiniers ailés passent par ici! D’où croyez-vous que venaient ces ronces odorantes, ces sorbiers et ces cornouillers? Ce sont toutes des espèces fruitières importantes pour l’avifaune. Devant l’opportunité de faire une haie nos Charmants voisins n’hésitent jamais… chacun son paradigme!
L’endroit a changé dernièrement à cause des travaux mais il avait un air montagnard, sauvage de végétation débordante qui semble caractériser les environs. C’est après tout ce qui avait amené autrefois les gens ici sur le piedmont… loin de la ville, dans la nature de la montagne.
Les ormes de Sibérie* et les frênes rouges de la haie viennent évidemment des arbres de trottoir. Plus anciens toutefois, les ormes d’Amérique sont aussi des sauvageons bien typiques de Montréal. Ils se maintiennent ici comme ailleurs par la succession de générations atteignant tout juste l’âge de produire les premières samares avant de dépérir. Mais ils survivent toujours dans les mêmes environs… Dans plusieurs quartiers nous avons ces «familles» nébuleuses d’ormes, attachées à quelques coins de rues ou de ruelles, terroir réduit d’un illustre passé, maintenant devenu presque fantôme…
À travers les siècles, le mont Royal a été rasé (en tout ou en partie) à quelques reprises, perdant ainsi beaucoup de sa flore avec sa diversité génétique d’origine. La grande montagne s’est spontanément revégétalisée par ici ou a reçu des plantations (pas toujours heureuses: pensons à l’érable de Norvège*…) par là et c’est un intéressant paradoxe de penser que certaines espèces se trouvant aujourd’hui (ou encore tout récemment…) dans la haie McTavish étaient en continuité génétique avec la flore originale, disparue, du mont Royal. C’est un exemple du rôle discret de conservation de la diversité génétique assurée par les haies.
Ronce odorante et sorbier. 2011.
Le constat est peut-être un peu tardif pour la haie McTavish et le mont Royal… mais souvenons-nous quand même de la leçon.
Par l’anémochorie ou l’avichorie, l’aire qu’occupe un espace vert est toujours plus grande que ce montrent les plans. Les espèces présentes étendent cette surface d’une l’enveloppe diffuse que représente la portée de leurs semences.
En ville, on fait et défait constamment, on met au goût du jour. Chaque projet se voit chargé d’un espoir de perennité sans toujours avoir porté l’attention nécessaire à l’histoire du lieu ou aux végétaux qui la révèleraient pourtant. Je l’écrivais plus haut, depuis quelques années de grands travaux ont cours au réservoir et ses alentours, question de bassin qui ne retient qu’imparfaitement ses eaux ou quelque chose comme cela. Récemment une session d'extirpation (incomplète…) du nerprun a eu lieu. Ça s’appelle de la gestion écologique. De plus, des travaux de rectifications sécuritaires de la façade rocheuse ajoutent à la perturbation excessive de la végétation de l’endroit. Cette gestion phytosanitaire et sécuritaire de la haie et de l’escarpement ont malheureusement fait disparaître de nombreuses espèces fruitières indigènes… On a malheureusement jeté ainsi bien des bébés avec l’eau du bain.
Morceau de champ.
Il s’agit d’une gestion empressée et insensible, une gouvernance écopaysagère nulle: comment donc est-on parvenu à extirper les sorbiers indigènes et sauvages? Est-ce simplement un inévitable dommage collatéral de l’extirpation (inachevée) du nerprun envahissant? Quel dommage! En matière de gestion écologique de nos espaces verts on souhaiterait une finesse d’exécution à la mesure de la précision des ingénieurs de la voirie ou de l’aqueduc: chez eux tout est mesuré au centimètre. On souhaiterait des ouvriers pouvant identifier les végétaux afin de conserver les espèces indigènes. Montréal se targue de posséder l’un des plus beaux et plus grands jardins botaniques de l’univers. On peut regretter que l’Espace pour la Vie semble pour l’essentiel se confiner dans le béton de ses édifices ou dans le Biodôme… Nos botanistes et nos écologistes ne font donc pas partie des équipes de voirie? Quelle coûteuse perte d’expertise! Quel coût pour notre biodiversité.
Pour donner une suite logique à la Politique de l’Arbre, à quand une Politique de la Haie? Ou des paysages spontanés! Et quand apporterons-nous cet autre correctif, un raffinement de nos pratiques et modes d’aménagements, nécessaire à la préservation de la biodiversité: un buisson de cornouillier composé d’une dizaine de tiges vaut bien un quelconque orme de Sibérie* ou frêne rouge de 15 cm DHP, non?
Nos biologistes (ou de nombreux naturalistes dévoués...) peuvent répondre à ces questions. Faire place à la biodiversité en ville exige expertise et attention aux détails. À commencer par une politique claire sur la valeur écologique des espèces indigènes. En effet, à quoi bon cet effort d’extirper le nerprun envahissant si l’on ne protège pas les précieuses espèces indigènes?
Le parc Rutherford, l’escarpement du réservoir et la haie McTavish sont entièrement inclus dans l’Arrondissement historique et naturel du Mont-Royal. Dans une étude publiée sur l’histoire et la caractérisation des paysages de la montagne les auteurs spécifient (et c’est la seule spécification de ce genre) un « élagage requis » pour la haie McTavish. C’est un cruel (mais commun) manque d’imagination!
Constatons la dernière mouture de l’insensibilité: tout le terrain sera recouvert d’une belle flambant neuve pelouse en plasti pour des activités sportives quelconques. Un beau pré fleuri aurait probablement été un élément trop naturel du grand projet de promenade qui doit passer ici bientôt. Les gens se seraient arrêtés pour venir s’assoir. Pour voir, vous savez? Des choses comme les fleurs et les pollinisateurs. Non, recouvert de plasti, c’est mieux.
Puisque l’on est ici dans l’AHNMR il serait assez normal que l’on se préoccupe autant du naturel que de l’historique. Cette haie est un élément facile à valoriser écologiquement: on commence avec un peu plus de sensibilité, d’observation et d’imagination. J’ajoute que la belle promenade verte et exubérante des deux côtés de l’avenue des Pins est un net gain paysager qui rend à la fois des services environnementaux et offre des habitats pour la biodiversité.
Que souhaiter pour l’avenir des travaux? On pourrait peut-être s’assurer du remplacement des espèces disparues et de l’introduction de nouvelles espèces fruitières? Les ingénieurs ailés avaient bien fait le travail et semé ce qu’il fallait. C’est maintenant à recommencer! En écologie urbaine, étonnamment, une cervelle d’oiseau suffit à faire paysage…
D’un point de vue écologique on souhaiterait donc des interventions visant à enrichir le lieu d’espèces végétales indigènes. Ça me semble un bon endroit où planter quantité et variété d’arbustes comme l’aubépine et l’amélanchier, le cornouiller à feuilles alternes et des viornes, des ronces odorantes par ci par là. Et des pruniers noirs!… Je vous l’ai dit: cette morphologie rocheuse (paradoxalement si rare dans les environs du mont Royal) était justement colonisée par le sorbier d’Amérique. En fait «du bon arbre au bon endroit» on ne peut faire mieux! Il était arrivé ici tout seul… Allons dans le même sens!
Je note aussi qu’une belle zone herbacée se trouvait déjà au pied de l’escarpement: c’est encore une occasion d’avoir un écotone haie/strate herbacée, version humide. Avec les travaux en cours je ne sais pas de qu’il adviendra du petit plan d’eau qu’il y avait au pied du mur. Cette eau suinte d’entre les strates rocheuses du mont et s’accumule un peu. Ce serait l’occasion d’introduire des impatientes du Cap (Impatiens capensis) et autres espèces appréciant pareil site: des aulnes et des petits saules peut-être? Des joncs et des carex? De l’asclépiade incarnate, de l’eupatoire maculée, des lobélies cardinales, des persicaires, de la verveine hastée? Peut-être?
Oh! Puisque j’y pense: nous sommes sur l’avenue des Pins? Il ne vous vient pas aussi l’idée de planter des… pins?
La Ville de Montréal a présenté (février 2015) un projet de promenade urbaine Fleuve-Montagne. La voie piétonnière mènera du Vieux-Montréal en montant la rue McGill et passera justement par la rue McTavish, l’avenue des Pins pour aboutir enfin au mont Royal. Cette promenade passera par ici et je m’attarde un tant soit peu aux considérations écopaysagères du projet. Je trouve des affinités avec ce que je proposais déjà il y a quelques années sur mon blog Flora Urbana.
Regardons le traitement que l’on fera de la haie McTavish et des environs… Tiré des documents du projet:
«Diversifier la trame végétale pour:
Favoriser la migration de certaines espèces d’oiseaux et d’insectes de la montagne à la ville. Attirer la petite faune, les oiseaux et les insectes pollinisateurs. Diversifier et varier les strates herbacées, arbustives et arborescentes. Limiter la représentativité par espèce à 10 % et par genre à 20 %. Créer un gradient de plantes indigènes à partir du milieu naturel. Choisir des espèces indigènes présentes sur le mont Royal. Favoriser les arbres à grand déploiement. Viser à atteindre, à partir d’un noyau de biodiversité, une composition de végétaux exclusivement indigènes dans un périmètre de 100 mètres.»
À part le très artificiel «périmètre de 100 mètres» ça ressemble pas mal à ce que j’écris ici et que je publiais à propos des haies du Champ des Possibles et de la falaise McTavish! Mais pourquoi ne pas inclure toute la haie, au-delà de ce 100 mètres? On ne voit pas aussi grand?
Le projet est sous la responsabilité du Direction des grands parcs et du verdissement de la Ville de Montréal et il est pour le moins incongru de constater qu’une autre main de la Ville installe une surface de gazon artificiel sur sol du parc… c’est le bien connu syndrome du travail en silo…
Je serai du prochain voyage à St-Laurent. C'est passionnant et j'ai partagé mon enthousiasme, car on pourrait aussi appliquer tout ceci où je vis car il reste bien peu de haies agricoles ici !
RépondreEffacerMerci! Comme on verra dans les chapitres suivants: on peut aussi enrichir ou faire des haies! C'était ma proposition au Champ des Possibles et ailleurs... tous les détails suivront.
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