LA HAIE DANS LE BOCAGE URBAIN. 7.

Chapitre 7: À Saint-Laurent.

Localisation

Rue Robert-Choquette.

Emprunts paysagers

Nous sommes à Nouveau-Saint-Laurent, dans l’arrondissement Saint-Laurent, où il avait encore une production de maïs en 2013. J’ai suivi le développement du nouveau quartier résidentiel où on a fait des sélections et des intégrations d’éléments paysagers de ce territoire agricole qui disparaît. L’intégration de pareils éléments n’a rien de nouveau et dans plusieurs quartiers de Montréal (et ailleurs dans la région) les boisés, les haies ou certains spécimens d’arbres particulièrement remarquables sont souvent conservés. Il s’agit d’un emprunt paysager, après une épuration selon des règles et pratiques variables, ordinairement assez obscures. La particularité ici c’est évidemment que ce sont des haies qui ont été mobilisées.


Les environs en 1948. Photo: AdM.

Le secteur est intéressant parce que j’ai pu témoigner en quelques années de la transformation d’un vestige de bocage rural en bocage urbain. Les images satellites et d’archive permettent une bonne compréhension des étapes successives. Si la valeur de conservation des arbres et des boisés semble bien reconnue, celle des haies mériterait un raffinement des comportements.

1-La haie John-Lyman.  2-La haie-chênaie, rue Robert-Choquette.  3. La haie agricole.

Le travail paysager en est surtout un de rectification esthétique et/ou réglementaire selon des préceptes flous qui appartiennent à une autre époque. Avec ce travail de contrôle à grande (tout le nouveau quartier) et à petite échelle (une seule haie) il s’agit bien d’opérer une ré-affectation utilitaire des éléments paysagers.

En 1973. Photo: AdM

Maintenant que l’importance de la biodiversité urbaine s’est insinuée dans les discours officiels et un peu dans les esprits, il faut revoir les pratiques paysagistes. Ce qui est conservé dans ces nouveaux projets n’est souvent qu’un réduit tolérable de l’élément paysager jugé trop sauvage, insécuritaire, ou ne se conformant pas à un idéal dessiné. C’est une réduction conceptuelle qui confond «habitat» ou «biotope» avec «écran vert» ou «tableau». Pourtant il ne suffirait que d’un petit effort supplémentaire pour enrichir la perception et mettre à jour une pratique qui servirait mieux la biodiversité. Celle-ci est peut-être plus qu’un accessoire?

Les environs en 2008.

Une autre réduction conceptuelle découle de perceptions culturelles tenaces: ainsi des préjugés se manifestent en fonction des types d’arbres auxquels on a affaire. On hésitera jamais (ou presque) devant un grand chêne: on le conservera à tout prix… Je ne peux m’en plaindre! Quand toutefois il s’agit d’arbres «sans noblesse», comme les peupliers, c’est une toute autre approche qui guide les actions… L’instrument privilégié est alors la tronçonneuse. Si l’on déplaçait un tant soit peu son regard, le faisant passer d’un anthropocentrisme élémentaire à une compréhension écologique de base, nous constaterions qu’outre leur rôle essentiel de préparateur de sol et abri des… futurs arbres nobles… les arbres colonisateurs ont tout autant d’associations fauniques que les chênes. S’agissant de favoriser la biodiversité, il est temps de redéfinir ce qui est noble et pour qui!


Au-delà de l'aéroport Cartierville, le site en 1973. SN.

Culture de soja au numéro 3.

Dernière récolte, rue John-Lyman (#1). 2013.

Égologie et paysagement

La haie figurée en #3. Les fruits suivent...

Il y avait beaucoup de sureau.


Fruits d'un sorbier.


Sureau!


Sureau et vigne des rivages.

L’égo collectif de nos représentations souhaite un milieu urbain sanitaire et net, bien jardiné avec des contours précis. L’égo individuel de l’architecte-paysagiste, charcute artistiquement le paysage. Ce sont des impératifs qu’il faut revoir et réduire, voire éliminer si nous voulons de la biodiversité en milieu urbain. En ce qui regarde ces designers de l’extérieur, j’ai l’impression que ce qui les guide est le simple plaisir de dessiner, habituellement sans égards à la réalité paysagère en place. Évidemment comme on n’utilise même pas le mot «haie» il est difficile de faire avec


L’égologie, c’est passé!


La haie de la rue John-Lyman, site 1 sur la carte. En jaune: le sentier aménagé qui coupe la haie (en orangé) par trois fois. 
Le fossé à l'Ouest est figuré en bleu.


Sur le terre-plein entre la rue John-Lyman et la haie on a fait bêtement des plantations perpendiculaires à cette dernière. Comme si la longue haie n’était pas vraiment là. Elle a pourtant été plus ou moins conservée et a même déterminé la rue qui lui est parallèle, juste devant. Ce n’était probablement pas des indices suffisants! On ne peux dire qu’on ait porté attention au génie des lieux… C’est du travail de bureau, désincarné, loin de la réalité paysagère. Planter en parallèle et travailler sur l’écotone semblerait trop simple ou serait une approche hérétique, exogène à la profession, si elle était connue: on reprocherait probablement que cela viendrait nier la liberté de création de l’artiste…

Réduire la haie à l’essentiel selon les besoins qu’on se figure, la percer une fois puis encore pour y déambuler… Que de travail! On imagine dessiner ainsi une promenade ondulante agréable de découvertes pour les voisins, mais c’est en fait seulement le crayon qui s’étourdit lui-même et qui s’égare. Puis vient tout ce travail de machinerie!

Est-ce vraiment nécessaire? Il y aurait moins de «beauté» et d’art ou de paysagement, moins d’expertise horticulturale si on partait de l’idée de la haie et que nous faisions des écotones? Je ne crois pas! Ce serait le même travail, un peu plus raffiné d’observation tout de même et tellement plus rustique (ça doit faire problème ça!) de contact direct avec l’objet complexe et vivant qu’est une haie, avec la recherche d’excellence d’une horticulture sous la gouverne de l’écologie. Du travail de terrain, quoi!

Somme toute le genre de travail qui a été fait est assimilable une taxidermie paysagère. Couper ainsi une haie n’est pas très différent que de minéraliser une berge ou de couper la bande riveraine de «son» lac au chalet. On accepte cela? Bien sûr que non! Mais les haies? Ce ne sont que des arbres chaotiquement disposés?

Après le travail de réduction de la haie on suit avec la plantation d’espèces supplémentaires. On enlève ici et on plante là, n’importe quoi. Sans aucun rapport. Ou ce qu’on trouve intéressant, à défaut de critères écologiques. Ces simples gestes d’horticulture sont une négation de la haie écotope qui n’est conservée que comme décor. On semble préparé ainsi un prolongement des jardins privés des futurs propriétaires de monster houses. Ce ne sont plus les éléments écopaysagers qui rehausseraient la valeur des propriétés, ce sont bien ces dernières qui hachent les environs de leur empreinte… et elles n’étaient pas encore construites!

La haie, malheureusement démembrée en section arbitraire lors de l’aménagement, est traversée par un sentier aménagé artistiquement en serpentant. Puis des haies basses monospécifiques sont plantées perpendiculairement: des viornes dont je n’ai pas identifié l’espèce et des… chèvrefeuilles exotiques… le tout bordé de carex, plantés en rang d’oignons.



On considère la circulation des humains? Pourquoi ne pas considérer la circulation des autres espèces? Par ce fait même, mille propositions sensorielles (parfum du prunier noir, chant de quelque bruant, etc, …) sont possibles sans le sacrifice inutile d’un élément paysager dont c’est la morphologie continue et diversifiée qui assure la richesse écologique et qui offrira ce qu’on semble rechercher: un spectacle…

Reconnaître la validité historique et écologique de la haie devrait conduire à adopter des comportements visant leur préservation. À l’heure où bien des villes sont prêtes à des efforts importants pour remettre à la lumière des cours d’eau enfouis et canalisés, recréant des berges (le «daylighting»), détruire ces éléments paysagers pré-adaptés que sont les haies me semble contre-productif et anachronique. Il faut au contraire les protéger, les mettre en réseaux, les compléter et même en créer.


À Saint-Laurent un certain effort (accident ou malentendu?) a été fait afin de conserver des haies mais l’empreinte d’aménagement y est trop lourde et devient dysfonctionnelle. A-t-on penser de faire avec? Un peu… mais pas trop. Les haies sont pourtant une source d’économie incroyable! La quantité de services environnementaux et écologiques rendus par ces installations naturelles gratuites fait en sorte que les conserver c’est faire de l’argent…


Pré-existant, le paysage de la haie est formaté aux immeubles résidentiels et devient décor accessoire. On peut faire mieux!



Site #2, rue Robert-Choquette. Une haie de chênes à gros fruit (en orangé) et le sentier aménagé en jaune.

Haie de chênes.


Haie de chênes.


Haie de chênes.


Haie de chênes.


Boisé emprunté. Aménagement d'un parc à partir d'un boisé.


Boisé emprunté


Boisé emprunté

Je dois noter qu’on a eu la bonne idée de planter des espèces indigènes sur le terre-plein (mais surtout pas dans la haie…): des noyers cendrée (Juglans cinerea), des chênes à gros fruit (Quercus macrocarpa), des thuyas (Thuja occidentalis) et des sapins baumiers (Abies balsamea). 


Bien que l’ajout d’espèces supplémentaires est toujours une excellente idée on peut se demander pourquoi prendre la peine de conserver la haie en la réduisant pour ensuite ajouter des espèces? J’aurais fait un beau pré fleuri dans ce terre-plein gazonné devant la haie… plutôt que d’y passer la tondeuse 10 fois dans l’été, une seule fauche aurait suffit à l’automne.


Composition de la haie


La haie a été fortement éclaircie, amincie comme pour lui donner une transparence. Ce choix d’abord esthétique réduit d’autant la valeur écologique de l’habitat tout en réduisant le service de régulation de la température qu’offrirait l’ombre. Des pruniers noirs ont été coupé mais régénèrent de souche et on trouve deux ou trois espèces d'aubépines. Les ormes d’Amérique sont tous jeunes (20-30 ans) et des chicots de ceux-ci ont probablement été retirés. On y trouve aucun vieil arbre… ont-ils été retiré? La présence et la taille des nombreux érables à Giguère semble indiquer que cette haie a connue une coupe il y a 10-20 ans?

Une des aubépines épargnées lors du nettoyage.

Le quasi-désert biologique du bâti et des infrastructures grises est l’équivalent des monocultures pauvres en biodiversité de certains milieux agricoles actuels. Que ce soit en milieu péri-urbain ou dans de nouveaux développements en milieu urbain, le défi est de conserver et de mieux intégrer les éléments écopaysagers. La réflexion devra s’enrichir de notions d’écologie plus avancées. Mais il faut d’abord remarquer ces écotopes et mieux les caractériser, en comprendre la structure et en voir le potentiel. Le maillage à grande échelle de ces éléments écopaysagers du bocage urbain sera le plus grand service écosystémique offert par les haies.


La haie assimilée de la rue rue John-Lyman est composée des espèces suivantes, en ordre d’importance numérique:


érable à Giguère, Acer negundo
orme d’Amérique, Ulmus americana
prunier noir, Prunus nigra
frêne blanc, Fraxinus americana
aubépines, Crataegus spp.
nerprun cathartique, Rhamnus cathartica
vigne vierge à cinq folioles, Parthenocissus quinquefolia
chèvrefeuille de Tartarie, Lonicera tatarica
framboisier, Rubus sp.
vigne des rivages, Vitis riparia
herbe à puce, Toxicodendron radicans
sumac vinaigrier, Rhus typhina
érable argenté, Acer saccharinum
tilleul d’Amérique, Tilia americana
érable de Norvège, Acer platanoides
pommier commun, Malus pumila

Que ce soit en milieu péri-urbain ou dans de nouveaux développements en milieu urbain, le défi est de conserver les éléments écopaysagers. La réflexion devra d’enrichir de notions d’écologie plus avancées. Mais il faut d’abord les remarquer et les caractériser, en comprendre la structure et en voir le potentiel. Il faut aussi constater que le maillage à grande échelle du bocage urbain sera assuré par les haies.

Le quasi-désert du bâti et des infrastructures grises est donc l’équivalent des monocultures pauvres en biodiversité du milieu agricole actuel.


Vue oblique des environs, 1966. Un char d'assault dans le bocage! Photo: AdM.


Le bocage avec ses boisés et ses haies soulignés.


À suivre! Nous irons au Champ des Possibles bientôt!


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Commentaires

  1. Je suivrai, je suivrai et aller au Champs des Possible me ravit ! À bientôt !

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